Vous avez tous très certainement
déjà entendu parler du Forum
International de Kyoto qui a eu lieu l'an
dernier, en Mars 2003 au Japon. Si tel n'est
pas le cas, ce n'est pas très étonnant
car la guerre d'Irak a fait passer inaperçu
ce rassemblement important. Lors de notre
séjour au Japon, la curiosité
nous a poussé à en savoir
plus sur ce fameux Forum. Le hasard faisant
bien les choses, nous avons eu la chance
de pouvoir rencontrer le "Monsieur
Eau du Japon" : Monsieur Oda Hideaki,
secrétaire général
(organisateur) du Forum de Kyoto.
Les informations relatives
au Forum :
Le World Water Forum est un rassemblement
qui a lieu tous les trois ans. Le premier
s'est déroulé au Maroc en
1997, le deuxième à La Haie
(Hollande) en 2000, le troisième
à Kyoto au Japon en 2003, celui de
2006 aura lieu à Mexico.
C'est le Conseil International de l'Eau
dont les bureaux sont à Marseille
qui décide du lieu où se tient
le Forum.
L'ojectif du Forum International de l'Eau
est de rassembler autour d'une table tous
les acteurs de l'eau du monde entier. En
d'autres termes, faire en sorte que les
agriculteurs, les industriels, les institutionnels
et les consommateurs échangent entre
eux leurs idées, discutent ensemble
des problèmes et des solutions à
mettre en place.
L'esprit du Forum de Kyoto :
"Je tenais beaucoup
à ce que ce soit les participants
qui décident de l'ordre du jour du
Forum" nous déclare avec force
Monsieur Oda Hideaki. Il a mis en application
la méthode du "Ground up".
C'est-à-dire que les participants
au forum pouvaient eux-mêmes organiser
une session sur le thème de leur
choix, ce n'était pas les organisateurs
qui choisissaient les thèmes, comme
ce fut le cas à Johannesburg. Conscient
que Kyoto était loin donc cher pour
beaucoup d'ONG, "nous avions mis en
place une structure permettant de prendre
en charge des billets pour les organisations
les plus démunies qui nous en faisaient
la demande". L'une des grandes nouveautés
de ce Forum fut aussi la création
"des messagers de l'eau". Ouvrir
en quelques sortes la discussion aux 6 milliards
de gens qui habitent cette terre. Cela s'est
fait grâce à un forum internet
où étaient conviés
tous les Hommes de bonne volonté
à déposer les témoignages
recueillis dans les zones les plus reculées.
Le résultat fut en rendez-vous, puisque
le forum a permis la tenue sur une semaine
de 351 sessions. Ils attendaient la venue
de 8 000 visiteurs, 24 000 se déplacèrent
pour prendre part à la manifestation.
21% des participants étaient des
femmes et 75% des japonais.
Nous avons évoqué pendant
notre entretien le cas du Forum Alternatif
de l'eau, censé rassembler tous les
mécontents de l'Eau, qui a eu lieu
au même moment en Italie. Pour Monsieur
Oda ce type de contre mouvement est préjudiciable
à l'eau tout simplement. "L'organisation
de Kyoto leur permettait de venir exposer
leurs points de vue avec nous. Je suis triste
que ces gens n'aient pas encore compris
que c'était ensemble que nous trouverions
les solutions aux problèmes de l'eau
et non dans la division".
La base du Forum de Kyoto :
Pour le secrétaire
général du Forum de Kyoto,
le concept de bassin versant est un présupposé
indispensable pour régler tous les
conflits en matière de partage des
eaux. Le Forum de Kyoto s'est en réalité
tenu dans 3 villes différentes. Les
gens n'en retiennent généralement
qu'une, Kyoto, mais il y a aussi Osaka et
Shiga. Toutes les trois font parties du
même bassin versant : le Yodo. "Nous
voulions mettre ainsi en avant l'importance
du concept de gestion de l'eau par bassin
versant, même s'il semble aujourd'hui
accepté par tous les pays, il n'est
pas toujours mis en application". Il
y a quelques années au Japon avant
que l'idée de bassin versant ne soit
totalement appliquée, un préfet
avait décrété qu'il
voulait toute l'eau d'une rivière,
en prétextant que c'était
sa pluie et donc son eau. Le préfet
situé en aval lui avait rétorqué
qu'il était d'accord mais à
une seule condition : c'est qu'en cas d'inondations,
il ne tolérerait pas qu'une seule
goutte d'eau ne pénètre sur
son territoire. Ils finirent par tomber
d'accord sur une solution équitable
de partage des eaux. Au Japon, le bassin
versant est naturel dans le sens où
la relation entre l'évacuation des
eaux de pluies et l'écoulement des
rivières est directe car cela se
produit sur un même territoire. Le
problème du partage des eaux est
donc plus facilement gérable. Ce
n'est pas le cas pour le bassin versant
du Nil qui concerne à lui tout seul
10 pays. Les 10 représentants de
ces pays ont d'ailleurs été
conviés à se retrouver ensemble
avant le Forum International de Kyoto par
le prince héritier du Japon (parrain
du forum). L'objectif du prince héritier
était de leur offrir l'opportunité
de mieux se connaître dans un cadre
neutre, tout en découvrant une autre
culture non partie prenante à leur
mésentente.
La place de l'eau dans la culture japonaise
:
L'eau tient une place toute
particulière dans la vie de tous
les jours au Japon. Le soir après
le dîner, quand ils le désirent,
les membres de la famille vont l'un après
l'autre, femmes et hommes, se baigner dans
la même eau du bain. C'est un rituel
qui est encore très répandu
dans beaucoup de familles japonaises. "Juste
avant d'entrer dans le bain nous prenons
une douche en nous frottant avec du savon,
une fois dans le bain nous profitons de
la chaleur relaxante de l'eau. Quand l'eau
du bain n'est plus assez chaude, nous la
réchauffons à notre guise"
nous explique Junko Sagara assistante de
monsieur Oda. Il n'y a pour ainsi dire pas
de gâchis, car en plus cette eau est
réutilisée pour des tâches
ménagères, comme laver le
linge, ou pour arroser le jardin. "Nous
avons une certaine fascination pour l'eau,
on le retrouve d'ailleurs dans notre tradition
avec les morts et dans notre religion shintoïste".
Elle nous raconte que pour purifier les
morts, ils leur versent à l'aide
d'une feuille de l'eau sur la bouche. L'attachement
des japonais à leur tradition est
effectivement encore très fort. Quand
ils veulent rentrer dans un lieu de culte
les japonais doivent se laver les mains
avec de l'eau et parfois la bouche au moyen
d'un récipient en bois.
Le temple Togenuki Jizo (littéralement
divinité qui garde les enfants et
enlève le mal) à Tokyo est
très populaire. Les fidèles
viennent ici pour soigner un mal récurrent
en versant de l'eau sur une statue en pierre.
Par exemple, si vous avez mal au dos, vous
jetez de l'eau sur le dos de la statue Kwanon-Bosatsu
et frottez avec un chiffon à l'emplacement
du mal afin de l'éradiquer.
Les sanitaires "made
in" Japon :
La salle de bain japonaise
se présente sous la forme d'un grand
caisson étanche à l'intérieur
duquel il y a d'un côté la
baignoire chauffante et de l'autre la douche
sur une surface en carrelage équipée
d'une évacuation d'eau incrustée
dans le sol. Les toilettes sont quant à
elles équipées d'un système
permettant d'utiliser la même eau
deux fois. Une fois pour se laver les mains,
car avant de remplir la chasse d'eau, l'eau
passe par un robinet aérien situé
au-dessus d'elle et une autre fois pour
vider la cuvette des toilettes. Ce procédé
est utilisé quasiment partout au
Japon, aussi, sur le chasse d'eau, vous
trouverez un savon pour vous laver les mains
juste après avoir tiré la
chasse d'eau.
Les fleuves et rivières au Japon
:
Les cours d'eau sont classés en
deux classes bien distinctes :
- La 1ière classe contrôlée
par le ministère de l'infrastructure,
qui regroupe 109 fleuves
- La 2ième classe contrôlée
par le préfet (48 préfectures
au Japon), qui concerne 7057 rivières
Le Japon compte 3000 barrages
qui sont utilisés pour l'électricité,
l'irrigation, le contrôle des inondations
et bien sur comme réserve d'eau potable.
Laissons la Parole au
Secrétaire du Forum de Kyoto, son
mot aux jeunes pour la journée internationale
de l'eau douce, Lundi 22 mars :
Avant de prendre la tête
du Forum de Kyoto, Monsieur Oda travaillait
pour le ministère de la construction
dans le domaine de l'aménagement
et de la gestion des rivières. Après
30 ans de carrière dans le métier
de l'eau, il finit directeur général
du bureau des rivières en 1998. Aujourd'hui,
il a 62 ans : l'eau c'est toute sa vie.
Quand on lui a proposé de prendre
la direction de l'ONG du Forum de Kyoto,
il a accepté en souhaitant ne pas
être rémunéré
pour le travail qu'il effectuerait dans
l'association. "C'est préférable
que les dirigeants d'une ONG soient des
bénévoles, ça éviterait
bien des disfonctionnements, mais c'est
facile à dire pour moi car je suis
retraité et ne manque pas d'argent".
Quand nous lui avons posé la question
de savoir pourquoi il a accepté cette
mission, il nous répond tout simplement
: "J'ai accepté par curiosité,
car je ne connaissais pas la solution, mais
je voulais travailler à la résoudre
et demander au monde entier de s'exprimer
sur la question de l'eau. Je pense qu'une
personne ne peut pas trouver tout seul la
solution au problème de l'eau, c'est
ensemble que nous la trouverons".
Hydrotour :
Bonjour Monsieur Oda, Lundi 22 mars est
la journée internationale de l'eau
douce. Pourquoi consacrer une journée
spécialement à l'eau ?
M. Oda Hideaki : Quand les Nations
Unies ont lancé une journée
internationale consacrée à
l'eau, c'était pour faire prendre
conscience au monde entier, mais surtout
aux pays riches, qu'il y a des soucis de
manque d'eau. C'est aussi pour rappeler
tous les ans qu'il faut avancer sur le problème
de l'eau sans baisser les bras.
Hydrotour :
Qu'elles ont été les grandes
leçons tirées du Forum de
Kyoto ?
M. Oda Hideaki : Pour les Japonais ce
fut très intéressant car au
Japon il n'y a pas vraiment de problème
de pénurie d'eau, même si à
Tokyo, pendant la saison sèche, nous
pouvons souffrir de manque d'eau. Nous avons
une relation très intime avec l'eau,
mais pour beaucoup de gens sur terre, l'eau
n'est pas aussi abondante. Ce fut une très
bonne leçon pour nous les Japonais
de voir que l'eau coule chez nous en abondance,
mais que ce n'est pas vrai partout dans
le monde. Par ailleurs le Forum de Kyoto
fut une occasion unique de parler de l'eau
dans les journaux. Beaucoup de journalistes
du monde entier se sont penchés sur
le problème de l'eau à l'échelle
planétaire.
Nous voulions que le Forum soit ouvert à
tous, que ce soit les participants qui organisent
le Forum, et qu'il ne soit pas qu'un lieu
de discussion mais aussi un lieu d'action.
Afin de montrer l'exemple, en matière
de bassin versant, nous avons délibérément
organisé le Forum dans les trois
villes principales du bassin versant du
fleuve Yodo, à savoir Kyoto, Osaka
et Shiga. Le bassin versant est très
important pour résoudre les conflits
de l'eau entre deux Etats souverains.
Hydrotour :
On assiste en France à une renaissance
des rivières, par exemple le cas
de la Bièvre (à côté
de Paris) que pensez vous de ce type de
tendance ?
M. Oda Hideaki : Nous avons le même
problème juste au centre de Tokyo,
la cas d'une rivière qui fut totalement
recouverte. L'idée derrière
tout ça était d'utiliser,
au détriment de l'eau et des riverains,
la surface ainsi récupérée
pour mettre une route par exemple. C'était
aussi de cacher l'écoulement de l'eau
en ville, mais sans se rendre compte que
c'est un apport de fraîcheur extraordinaire
dont ont besoin les habitants. Je pense
qu'en France vous avez beaucoup souffert
de la chaleur l'an dernier, le fait que
vous ne soyez plus en contact direct avec
l'eau peut expliquer en partie cette catastrophe.
L'asphalte mis à la place de l'eau
provoque un phénomène de remontée
de chaleur significative. Par ailleurs l'eau
dans la cité est très importante
pour les enfants car ils peuvent s'amuser
avec l'eau.
Hydrotour :
Quel lien selon vous existe-t-il entre eau
et développement durable ?
M. Oda Hideaki : Je pense que sans
l'eau il n'y pas de développement
durable possible, aujourd'hui 60% de la
pauvreté dans le monde peut s'expliquer
en raison de l'eau. Notre combat contre
la pauvreté passe par un combat pour
résoudre les problèmes de
l'eau.
Hydrotour :
Avez-vous un message d'espoir à délivrer
aux enfants ?
M. Oda Hideaki : C'est vous les jeunes
générations qui avez le droit
de penser le problème de l'eau. Notre
génération qui a 60 ans n'a
pas fait son travail en matière de
respect de l'environnement. Nous devons
compter sur l'avenir, car l'avenir c'est
l'espoir. Beaucoup d'adultes veulent encore
utiliser la bouche des enfants pour faire
passer leur message, je pense qu'ils n'ont
pas compris que leur rôle était
de faire naître des idées et
non de les imposer aux plus jeunes.
Les enfants je vous attends, c'est votre
travail que de penser l'eau !
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