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Carnet des initiatives

Margen Derecha ou l'administration collective de l'eau

L'administration privée de l'eau dans un quartier de Cusco

Margen Derecha est une ville en contrebas de Cusco où est concentrée une partie de la population pauvre. En 1983, 17 quartiers de Margen Derecha s'associèrent ensemble pour administrer eux-mêmes leur propre réseau d'eau potable. La commune de Cusco, normalement responsable de ce service, ne disposait pas de fonds suffisant pour l'installation de l'eau courante. Elle proposa donc de payer le matériel et demanda aux quartiers de fournir la main d'œuvre.
Pour trouver de l'eau en quantité et en qualité suffisante, il faut faire 11Km en amont dans une vallée débouchant sur celle de Cusco. Le travail d'adduction d'eau à entreprendre est donc de taille.
Tous les habitants de Margen Derecha sans exceptions furent mis à contribution le samedi et le dimanche pour participer à la création de la retenue d'eau sur la rivière, à la construction de la "station de traitement", au creusement de la piste pour y accéder et à la pose des canalisations sur les flancs de la montagne.

"En tout nous avons eu 6000 travailleurs, certains l'on payé de leur vie"

Il faudra 4 ans et 6000 travailleurs pour réaliser ce travail de fourmis. L'histoire est belle car elle prouve que des hommes bien déterminés et avec peu de moyen peuvent construire ensembles leur futur.
Gustavo Castro est aujourd'hui responsable de la structure de son quartier mais aussi de celle chapeautant tous les quartiers au sein de la communauté, c'est lui qui nous a emmené à la prise d'eau 11Km en amont. Nous y sommes montés en voiture par la route en terre et en cailloux creusée à flanc de montagne.
"Cette route nous l'avons construite petit à petit, en même temps que la saignée où passe la canalisation que vous voyez en face sur l'autre versant". "L'armée était chargée de faire le gros œuvre avec des explosifs et nous devions nous occuper du déblaiement et du transport de tout le matériel". "Nous étions censés travailler le samedi et le dimanche et l'armée la semaine, mais malgré cela nous avons eu des accidents". "Chaque responsable de famille (propriétaire de maison) devait monter un certain nombre de canalisation en fibrociment, quatre par famille". "Or chaque tube pèse à lui seul 130Kg, il fallait donc deux personnes pour le monter". "Un jour, je me trouvais avec mon frère et nous étions en train de marché le long d'une pente escarpée, soudain une explosion fit sursauter mon frère et il laissa tomber le tube. Seul, je ne pus le retenir et il tomba dans le ravin". "Grâce à Dieu un arbre le bloqua plus bas et nous avons pu le remonter avec des cordes". "Mais il y a eu beaucoup de blessé et même un mort". "Nous avions tous notre travail en ville auquel s'ajoutaient les corvées pour les tubes et le creusement de la route". "Certains voulaient donc s'avancer la semaine pour profiter du repos dominical et travaillaient donc en même temps que l'armée. Ils ne se renseignaient hélas jamais sur les endroits où se faisaient les explosions et un jour malheureusement un homme fut emporté par l'une d'elle". "Nombreux sont ceux qui eurent plus de chance et qui ne furent atteint que de surdité…".

En 1987, après cette fantastique aventure humaine, le résultat est là : tous les habitants de Margen Derecha ont de l'eau courante toute la journée qu'ils payent 4 soles par mois (plus ou moins un euro). Ce réseau, c'est eux qui l'ont construit et ils en sont fiers, s'ils avaient attendu que la ville ait l'argent pour le faire, ils auraient sans doute encore du attendre 10 ans.

"Petit à petit l'eau ne suffit plus et l'argent collecté ne permet pas d'investissements"

Mais petit à petit, l'eau ne suffit plus pour tout le monde car la population de la ville augmente de manière démesurée et les habitants des villages situés au-dessus de Margen Derecha prennent de plus en plus d'eau.
Autre préoccupation majeure (en fait la plus importante), les fameuses canalisations en fibrociment, qui avaient été offertes par un gouvernement étranger, sont fabriquées avec de l'amiante. "Même si elles sont en parfait état aujourd'hui, nous devons tout changer car l'amiante est extrêmement toxique" précise Gustavo.
"Et ce n'est pas les 4 soles que nous percevons par mois qui nous permettraient de le faire, nous arrivons à peine à payer nos huit employés et le chlore que nous ajoutons pour le traitement de l'eau".
Certains quartiers, au vu des problèmes, se sont retirés de la communauté et sont passés à l'eau de la ville qui a la capacité, aujourd'hui, de donner de l'eau à tout Margen Derecha 24h/24.
Les huit quartiers irréductibles (40 000 personnes) qui restent dans la communauté ont de l'eau 2h toutes les 48h. Pendant ces deux heures, ils font des réserves en remplissant tous les récipients qu'ils peuvent.

"Certains bailleurs revendent l'eau 10 fois ce qu'ils la payent"

Alors quel est le problème, pourquoi une gestion communautaire de l'eau tourne-t-elle au fiasco ?
Selon Gustavo, il y a deux raisons :
- L'augmentation du prix de l'eau est impossible et ne permet donc pas à la communauté de mettre de l'argent de côté pour les grands travaux "à tel point, c'est que lors d'une crue ayant détruit la petite retenue où se trouve la prise d'eau il y a quelques années, nous avons du faire appel à l'aide de la province pour tout reconstruire".
- Toute décision dans la communauté est votée à la majorité, et dans la majorité des maisons il y a plusieurs familles. Le propriétaire de la maison, qui est le seul à voter, loue des parties de sa maison, parfois jusqu'à 7 familles. A chaque famille il fait payer un loyer et un "petit" supplément pour l"eau. Ce supplément atteint parfois des prix indécents puisqu'il peut être 10 fois supérieur aux 4 soles que payent réellement le propriétaire. Comme petite anecdote, Gustavo nous raconte que lors du déménagement du bureau administratif de la structure qui gère l'eau, le nouveau bailleur (qui ne le connaissait pas) lui a demandé 30 soles pour l'eau prétextant que l'eau était très chère dans ce quartier de la ville ! ?

"Nous avons donc peu de marge de manœuvre, surtout que d'ici 2 ans, il n'y aura plus d'eau, et nous avons ce gros problème d'amiante". "La commune ne veut plus nous aider car elle est en mesure d'alimenter tout Margen Derecha". Autre problème, une loi passée en 1989 vise à interdire l'administration de l'eau par une structure privée (la structure de Margen Derecha est communautaire mais privée)".
Et personne ne veut changer, les uns (les vieux surtout) disent que le réseau leur appartient car c'est eux qui l'ont construit et qu'il n'y a pas de raison de le donner à l'état, les autres ne veulent pas perdre la marge substantielle qu'ils se font sur le dos de la communauté. "Seule les jeunes et les femmes veulent passer à l'eau de la ville".

Pendant ce temps subsistent tous ces problèmes :
- Diarrhées chez les enfants qui consomment souvent l'eau non-bouillie, directement dans les récipients qui sont entreposés à l'air libre dans les cours des maisons ;
- Intoxication à l'amiante de toute la communauté ;
- Manque d'eau qui s'accentue avec le fait que la communauté villageoise qui se trouve en amont ne respecte pas l'accord passé en 1987 et prélève de plus en plus d'eau toute la journée pour l'irrigation et la consommation du village.

"Il nous faut passé à l'administration de la ville au plus vite"

"La seule solution serait de passer à l'eau de la ville mais sur les huit responsables de quartier, seuls deux ou trois sont pour et ils ne sont suivit que par 10% des votants". "Nous cherchons donc des financements au niveau international pour payer les 15 000 canalisations de PVC qu'il faudrait remplacer, et pour installer une nouvelle station de captage plus en amont dans une autre vallée".

Mais qui va payer pour des gens qui se font de l'argent sur le dos des autres ?
Un doublement du prix de l'eau ou une pose de compteur résoudrait tous les problèmes, alors pourquoi permettre à 70% des propriétaires qui loue leur maison de faire payer l'eau plus chère à des gens qui ont encore moins d'argent qu'eux ?
Une société privée française ferait-elle pire ?
La seule solution équitable est de passer à l'état (à la ville de Cusco) qui supprimera et remplacera le réseau actuel et installera des compteurs, mais il faudra qu'ils soient installés à l'entrée de chaque famille, sinon les propriétaires continueront à en profiter pour surfacturer de manière illégale.
L'aide que pourrait apporter l'extérieur aujourd'hui (ONG ou coopération internationale) pourrait être au niveau de la sensibilisation à l'utilisation de l'eau, à la toxicité de l'amiante et peut être un peu d'éducation civique !

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Photos


Deux des huit employés sont en train de réparer le système d'égouts. Lorsqu'il manque de l'argent nous les payons plus tard. C'est eux qui pâtissent de la négligence des autres.


La route creusée à flanc de montage à l'explosif et à la main. Tous les deux ans ils louent une machine pour déblayer les éboulements fréquents.


Le bassin de décantation assez rudimentaire, il permet une adjonction de chlore. Comme on peut le voir il laisse passer une eau turbide en période des pluies.


La petite retenue d'eau à la prise. Elle a été récemment emportée par une crue et a du être reconstruite.


C'est la seule portion du réseau qui soit en PVC le reste est en fibrociment. Un tube en PVC coûte 300 soles (moins de 100 dollars). Il en faudait 15 000 pour refaire tout le réseau.


Sur la gauche on aperçoit la saignée de la route au fond la vallée et sur la droite la petite saignée pour la canalisation.


Deux heures tous les deux jours les habitants remplissent tous les récipients qu'ils ont sous la main pour disposer d'eau pendant deux jours. On remarque l'ingéniosité des récipients noirs du fond, ils sont faits de pneus de camions retournés.

 

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