Passage en douane
Un grand hall.
Ca résonne.
Des cris.
Un militaire, ou peut être un douanier.
Enfin un homme en vert, vient me parler.
La moustache et les cheveux noirs, les dents
jaunies par l'excès de maté
et de cigarettes, il s'assoit sur le banc
où j'attends Geoffroy qui paye les
droits de douane.
- "Where are you going ?"
Sur cette question, je sors un petit plan
de ma poche et je lui montre la France,
puis, pays par pays, notre trajet jusqu'au
Cameroun, l'Amérique du sud et l'Asie.
Il y croit difficilement.
- "With this car ?"
- "Oui, oui, jusqu'au Cameroun
"
- "and ?"
"Après !" Et je lui mime
avec mes deux doigts un homme qui marche.
Alors il me tape sur la cuisse, me sourit
et me laisse seul.
Quelques instants après, sur un banc
voisin, je l'entends décrire mon
trajet : "un an" dit-il en arabe
en faisant un geste avec son index !
Les autres ne font pas attention. Mais,
petit à petit, pendant que j'observe
un nid perché sur un lampadaire du
hall, je les entends dire "français"
en montrant la voiture du doigt.
Lui me regarde, me sourit et m'envoie un
bonbon que je m'empresse d'avaler. Hélas,
c'est un chewing-gum. Mais pas à
la menthe. Non ! Plutôt à la
nicotine, d'ailleurs peut-être est-ce
une nicorette. Je fonce dans la voiture
pour le substituer discrètement à
un chewing-gum normal. Ne pas vexer les
susceptibilités.
Ici, c'est l'Arabie. Je ne connais pas.
Des gestes différents. Par exemple,
un homme en uniforme tient la main de son
interlocuteur en jeans, comme des enfants.
Ils parlent. J'enrage comme d'habitude car
je ne comprends pas leur langue.
Les voitures sont là, devant moi.
Elles attendent le coffre ouvert.
Mon nouvel ami fait les 100 pas.
Attente
Comme partout, le temps est rythmé
par des sonneries de GSM.
L'agitation est un peu
retombée dans le hall.
Tout à l'heure, un groupe de douaniers
était autour de deux touristes dont
une femme blonde, jeune, très jolie,
ce qui explique la raison cet attroupement.
Geoffroy revient, je dois remplir un papier.
En négociant, il vient de diviser
par deux les 60 Euro que l'on devait normalement
payer pour l'assurance et le droit de passage.
Il repart.
Le ton monte en face de moi, je ne comprends
rien.
Beaucoup de gestes. Puis plus rien. Ah si
! Une bouteille d'alcool cachée dans
un sac plastique, circule entre le propriétaire
de la voiture fouillée et le douanier,
et disparaît dans un bureau. Les choses
s'arrangent comme ça.
Non, pas encore! L'autre passager a aussi
un problème.
Ce n'est pas grave, un autre douanier reçoit
une canette de 5L de bière turque,
qu'il va mettre rapidement, mais devant
tout le monde, dans sa voiture garée
non loin de là.
Ca y est, ils peuvent partir.
Sur les murs des inscriptions comme tagées
par un jeune à ses heures perdues.
Je ne comprends toujours rien.
Ceux-là, en uniformes, commencent
à s'allumer une pipe à eau.
Les portent claquent.
Ca résonne.
Bruit de klaxon, démarrage en trombe.
Je croyais les français fous au volant.
En fait il n'en est rien, nous sommes sages,
parmi les plus sages des pays que nous avons
traversés.
Les drapeaux flottent dans le vent, Geoffroy
tarde.
Une dernière signature
sur le triptyque de ce Turc qui attend et
il peut partir. Sans tourner la tête
et avec désinvolture, il tend un
billet. Mon nouvel ami l'interroge, le Turc
se retourne dit quelques mots puis continue
sa course. Le billet, lui, a déjà
disparu dans une poche. Ca doit être
normal ici.
Ils ne font pas grand-chose
dans ce hall, trop nombreux, on ne sait
pas qui est qui, et qui fait quoi. Ils vont
de gauche à droite et repassent dans
l'autre sens, regardent Adrienne en hochant
la tête, la montrent du doigt et parlent.
On la secoue, on pianote dessus comme pour
s'assurer de la qualité de cette
caisse de résonance, car une tôle
aussi fine ne peut pas être une caisse
de voiture. Pour eux, elle ressemble trop
à une blague.
Geoffroy revient.
Notre fouille effectuée par mon nouveau
pote est assez sommaire. Nous partons.
L'accueil
"Tout le monde
est bilingue ici !"
"Do you speak English?" "Yes!
Where are you from?" "We are from
France." "Very good, welcome to
Syria!"-"Tea?" "Oh yes
with pleasure." On se sourit, on s'assoit
autour d'une table sur une chaise, ou en
cercle sur une paillasse. Ensuite, dans
notre plus bel anglais, on commence notre
grande tirade pour décrire notre
tour du monde, les élèves
qui nous suivent, Internet... Médusés
nos interlocuteurs nous écoutent
patiemment et ponctuent notre monologue
par un chaleureux "Welcome to Syra",
Surpris, Geoffroy m'interroge du regard
: "euh
tu crois qu'ils ont compris?"
On redemande, beaucoup moins sur de nous
: "Do you speak english?" La réponse
est claire, l'index collé au pouce
ils répondent "shouaï"
(ce qui veut dire "un chouya",
enfin "pas du tout" même).
Tant pis le ton est lancé, nous savons
alors que nos interlocuteurs nous offrent
le thé juste par plaisir d'offrir
quelque chose. Le plaisir est dans un sourire
partagé, dans un mot échangé
avec un étranger.
Ici, les distractions sont rares, les gens
ne voyagent jamais en dehors de leur pays,
voire de leur ville. Un voyageur est l'occasion
de voir d'autres têtes, de comprendre
d'autres choses et de faire partager son
quotidien. Après, il nous est simple
de sortir quelques mots, tirés du
guide Neos, pour demander des détails
sur la famille de nos hôtes, leurs
noms, leurs âges; de sortir une petite
carte pour montrer notre trajet; de parler
d'Adrienne en tapotant doucement dessus
pour montrer qu'on l'aime.
"Fans de politique
étrangère"
Chirac ! Ah Chirac ! C'est sans doute l'un
des personnages les plus connus du monde
Arabe. Là bas, personne n'ignore
le nom du fameux leader du camp anti-guerre,
président des français de
surcroît. Et nous français
ou belges, connaissons nous le nom des présidents
libanais, syrien ou du roi jordanien? Qu'on
l'aime ou qu'on ne l'aime pas, Chirac et
sa politique étrangère nous
ont ouvert bien des portes. Une fois le
thé fini, nos hôtes nous laissent
facilement partir, ils comprennent que notre
route est longue et d'ailleurs ils nous
ont parlé, ils sont donc contents.
Une fois, en Syrie, en haut d'une montagne
où nous étions venus admirer
la vue et nous orienter, nous sommes tombés,
par hasard, sur un lieu de pèlerinage
d'une branche de l'Islam : les Alalaoiines.
De nombreuses familles de cette région
du Krak des Chevaliers, au Nord-Ouest de
la Syrie, ont émigré en Argentine
dans les années 1920 suite à
des luttes religieuses.
L'une de ces familles, revenue au pays il
y a une vingtaine d'années, nous
accueille en espagnol et nous offre un maté,
puis un repas composé de poulets
égorgés sur place en offrande
au prophète Saleh et de riz cuit
dans la graisse de mouton. Deux semaines
plus tard, Cynthia, une des filles de la
famille, sera notre guide à Damas,
tandis que sa soeur Rim, nous permettra
d'avoir un article dans le Syrian Times.
Et pour dormir !
Une autre famille cousine de la première,
mais de milieu très modeste (9 enfants),
nous offrira le gîte pour la nuit.
Au Liban, c'est la famille de Jean Doummar
qui va nous recevoir comme des rois. Dès
notre arrivée à Beyrouth,
Jean va se démener pour nous trouver
un hôtel de luxe qu'il va nous offrir
durant tout notre séjour. C'est à
ce titre que nous avons mis la société
Doummar frères dans la liste de nos
partenaires.
Non content de nous recevoir de la sorte
Jean nous a fait passer un week-end de rêve
avec sa belle-famille dans le village privé
le plus fermé du Liban : Le Faqra.
Pour vous aider à tout prix
!
L'accueil se manifeste tout le temps dans
les pays arabes. Tout le monde veut vous
aider, souvent à tort et à
travers.
Nous sommes ainsi devenus experts pour déceler
si notre interlocuteur connaît réellement
le chemin. Souvent pour ne pas nous décevoir
ou pour ne pas nous dire non, il nous envoie
dans la mauvaise direction. Il nous est
arrivé de demander 5 fois de suite
notre chemin avant de tomber sur Le Syrien
adorable qui, dans sa voiture, va traverser
toute la ville pour nous montrer le lieu
ou le chemin que nous cherchions. Quand
nous nous promenons, beaucoup font même
un détour pour nous saluer et simplement
nous dire "Welcome to Syria".
Au restaurant, tous les serveurs viennent
un par un pour apporter quelque chose, mais
surtout pour échanger deux mots avec
nous. Parfois des habitants, à côté
desquels nous nous sommes garés,
viennent spontanément nous offrir
de l'eau, un fruit ou des légumes.
Les recommandations de tous les médecins
sont claires, surtout ne jamais boire de
l'eau qui ne sort pas d'une bouteille cachetée
et ne jamais manger de fruits ou de légumes
que vous n'avez pas lavés ou pelés
vous-même. Mais là, dans ce
cas, refuser est difficile. Comment fait-on
docteur? Nous n'y arrivons pas toujours.
Pour l'instant, nous n'avons eu qu'une seule
turista, au Liban, et nos investigations
nous portent à croire que c'est un
petit resto qui en serait la cause.
Voila, c'est ça l'accueil dans les
pays arabes, une table toujours ouverte,
une place pour dormir pour tous les étrangers
et un sourire que l'on vous renvoie constamment,
enfin pour les hommes
mais le sujet
des femmes fera l'objet d'un chapitre à
part dans un prochain journal.
En voyage on bouge
beaucoup
Le voyage est l'occasion
de rencontrer beaucoup de gens, de connaître
plein de cultures. Lorsque nous croisons
quelqu'un qui parle anglais, français,
allemand ou espagnol, nous l'assaillons
de questions sur la vie, la religion, la
politique, la condition des femmes, etc...
Vous me direz : "et l'eau dans tout
ça?" Ca coule de source, nous
en parlons aussi.
Souvent, il est dur de quitter un lieu tant
les rencontres sont fortes. Le reste du
temps, nous le passons entre nous à
conduire ou à travailler. Nous n'avons
pas encore beaucoup travaillé dans
la voiture, nous préférons
admirer les paysages. Alors il faut vraiment
s'isoler pour travailler, d'abord par discrétion,
pour ne pas ouvrir notre ordinateur portable
devant tout le monde, ensuite parce qu'il
est dur de faire comprendre à nos
hôtes que nous avons du travail.
Pour manger
et boire
Nous étions pleins de bonnes résolutions
en Europe et nous avons cuisiné plusieurs
fois avec notre mini-réchaud de camping.
Mais depuis la Turquie nous préférons
acheter des kebabs ou autres sandwichs,
ou même aller dans des restaurants
bons marchés. Nous essayons toujours
de nous en tenir aux 5 EUR par jour et par
personne que prévoit notre budget
pour les 3 repas. En Syrie, rien de plus
facile, le niveau de vie est bas, les prix
aussi. Au Liban cela s'avère beaucoup
plus difficile la vie y est aussi chère
qu'en France. Le pire, c'est lorsque nous
voulons sortir boire un verre avec des amis,
là, le prix d'une bière explose
notre budget et nous devons nous contenter
d'une malheureuse bière pour toute
la soirée (snif
). Conseil,
si vous faites un tour du monde, prévoyez
une bonne réserve pour faire la fête
(et puis aussi pour les visites qui coûtent
souvent très cher). Comme nous ne
l'avions pas fait, nous nous sommes donc
transformés en ascètes. Heureusement
avec Marwan et Leticia, un Libanais et une
Espagnole rencontrés lors de notre
deuxième passage en Syrie, nous sommes
allés visiter le merveilleux site
de Palmyre en plein désert syrien.
Impressionnante oasis, construite sur les
ruines d'un site Romain, nous y avons passé
une nuit à la belle étoile
pour repartir ensuite sur la Jordanie. Je
dis heureusement car au Liban, à
cause de l'accident, nous n'avions plus
de moyen de transport et nous étions
donc très désorganisés
par la nécessité d'aller voir
l'avancement quotidien des travaux sur la
voiture.
Nous avons quand même pu rencontrer
une ONG, l'Université Américaine
de Beyrouth, un directeur du Ministère
de l'Eau et de l'Electricité et une
journaliste qui a publié un article
pour nous dans L'Orient Le Jour, premier
quotidien francophone du Proche-Orient.
En Syrie notre séjour fut beaucoup
plus bref (2+3 jours, contre 15 au Liban)
mais nous avons tout de même pu rencontrer
une journaliste du Syrian Times, journal
syrien en Anglais.
Et pour dormir
Pour dormir nous avons plusieurs solutions
: D'abord le budget nous permet une nuit
par semaine à 10EUR par personne
dans une auberge, nous l'avons fait à
Damas par exemple, où nous avons
dormi pour 2,15 EUR par nuit et par personne
sur les toits de l'hôtel.
A Beyrouth nous avions un hôtel ****
offert par notre nouveau sponsor : la société
libanaise Doummar Frères Ensuite,
nous avons la voiture dans laquelle nous
pouvons dormir à l'arrière
sur les planches (c'est dur comme support,
mais on s'y fait
), nous le faisons
lorsque nous ne sommes pas sûrs de
la sécurité de la région.
Enfin il nous reste nos lits de camp que
nous utilisons pour dormir à la belle
étoile comme à Palmyre et
dans toute la Syrie.
La voiture et l'accident
ou "Pour une poignée de dollars"
Les Syriens roulent comme
des fous. Ce sont les pires. Enfin ils se
disputent la première place avec
les Libanais.
Après la frontière turco-syrienne,
nous arrivons de nuit à Alep, dans
le nord de la Syrie. C'est l'horreur, il
en vient de partout, sans phares, sans respect
des sens interdits, des feux et encore moins
des priorités. Celui qui klaxonne
le plus longtemps, le plus fort et fait
le plus d'appels de phares a toujours priorité.
Les autres peuvent attendre. Les piétons
eux n'ont qu'à faire de la corrida
entre les voitures. Assez bizarrement, tout
cela se fait dans la courtoisie.
On gueule parfois, puis on sourit la seconde
d'après.
On klaxonne comme un fou, puis on remercie
par un signe de la main.
On aurait pu faire 200 accidents !
Surtout sur l'autoroute, quand de nuit sans
phares de préférence, tracteurs,
camions, vélos ou objets roulants
non identifiés remontent sur la bande
d'arrêt d'urgence et empiètent
même sur la bande de droite pour se
dépasser. Eh bien Non ! Nous n'avons
même pas eu d'accrochage.
Enfin des pros quoi!!! Et pourtant notre
accident nous l'avons eu. Arrivés
dans l'hôtel que nous a offert Jean
Doummar, nous laissons notre voiture (bien
garée) dans la rue et la clef au
voiturier. Dans la nuit, il la déplace
et la met de l'autre côté de
la route tout aussi bien garée. Le
lendemain, lorsque nous prenons notre petit
déjeuner, Aline, la charmante serveuse,
vient nous demander si nous avons une Citroën,
et nous invite à sortir parce qu'il
y a un problème.
Dans la rue nous n'en croyons pas nos yeux,
la voiture ressemble à un accordéon,
toute prête pour la guinguette. En
quelques secondes c'est une année
de travail qui disparaît, un rêve
qui s'envole. Comme dirait La Fontaine :
"Adieu EAU, vache, cochon, couvée".
Nous sommes tous les deux à regarder
la scène, prêts à pleurer.
"Et que vont dire les enfants qui nous
suivent, et les sponsors ?"
Mais il faut se ressaisir ! Appeler la police
qui refuse de venir car il n'y a pas de
blessés. L'ambassade de France qui
confirme son inefficacité habituelle
en nous envoyant paître.
Et enfin l'assureur qui, lui aussi, confirme
son incompétence habituelle. Mais
qui peut bien nous aider alors?
Evidemment, dans ce genre de situation plus
personne ne parle ni l'anglais, ni le français,
ni même l'arabe.
La compagnie de bus, elle, envoie son expert
(un gros malhonnête bien sur
.).
Jean Doummar appelé à la rescousse,
envoie le sien. Enfin, après 45 minutes,
le directeur de l'hôtel arrive, il
demande à la compagnie de bus d'envoyer
son avocat, donne deux baffes bien méritées
au chauffeur et commence une négociation
auquel nous ne comprenons rien. D'ailleurs
à ce moment-là, nous ne savons
pas à qui faire confiance.
A la fin des palabres on nous promet que
la voiture sera réparée au
frais de la compagnie d'assurance avant
l'expiration de notre visa 10 jours plus
tard.
"Et une voiture de remplacement?"
"Hein quoi, je parler pas français!"
"Mais il y a deux secondes vous parliez
mieux que Victor Hugo lui-même !"
"Hein quoi ?...."
"C'est bon on a compris, casse toi
cannard".
Ce jour là on aurait du le taper
ce pseudo avocat de m
. et lui piquer
son portefeuille, mais ça on ne s'en
rendra compte que par la suite. Car la compagnie
de bus nous joue de sales tours.
Selon eux, nous sommes responsables à
25% et devons donc débourser à
ce titre 100 dollars (qui seront en fait
125). Une fortune pour nous ! Mais nous
n'avons pas le choix car il refuse de nous
rendre Adrienne si nous ne payons pas.
Bref, voici le gros contraste entre l'accueil
arabe et la malhonnêteté de
quelques milliardaires, pour une poignée
de dollars de plus.
Aujourd'hui la voiture a retrouvé
son look, elle est juste un peu plus courte,
elle grince de partout, ne ferme plus, les
vitesses (1ère et marche arrière)
passent très mal, la roue avant droite
est orientées vers l'intérieur.
Bref tout baigne car même s'il elle
claudique un peu, elle roule toujours.
Journal du 1 août au
20 août 2003 par Loïc
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