Dr Rami Zurayk est le directeur du département
de développement social et environnemental
de l'Université Américaine
de Beyrouth (AUB).
Nous l'avons interrogé sur sa vision
de l'eau au Liban et sur les problèmes
qu'il a pu rencontrer lors de la mise en
place des microprojets de développement
agricole.
"L'eau au Liban
est un Paradoxe
"
H : Bonjour Docteur, d'une manière
générale que pouvez vous nous
dire sur l'eau au Liban ?
Dr RZ: L'eau du Liban connaît
deux problèmes importants, l'un d'ordre
qualitatif, l'autre d'ordre politique.
- Du fait de sa situation géographique
(cf. entretien
avec Jaber Bassam), le Liban est un
pays qui regorge de ressources en eau
de surface et souterraine. Il n'y a donc
pas de problème de quantité
d'eau (pas aujourd'hui). Seulement, cette
eau disponible en abondance n'est pas
de bonne qualité, car souvent très
calcaire (dure)
- Les richesses en eau du Liban, en font
un pays très convoité par
ses voisins, les Israéliens au
Sud et les Syriens au Nord et à
l'Est. Si des accords plus ou moins partiaux
ont été trouvés avec
la Syrie (cf. Jaber Bassam), c'est loin
d'être le cas avec Israël.
Pour vous donner un exemple, dans le Sud
du pays (région de Nabatiye), il
nous est impossible d'exploiter l'eau
du Hasbani. Lorsque nous aidons les agriculteurs
à construire des pompes sur ce
fleuve, Tsahal (armée israélienne),
fait des incursions pour les détruire
(NDLR, cf. déclaration d'Ariel
Sharon 11/09/02 : " le détournement
des eaux du Hasbani constituera un Casus
Belli").
L'eau au Liban est donc un paradoxe, elle
coule en grande quantité mais nous
avons des difficultés à
l'utiliser selon nos besoins.
H : Quels types de programmes
mettez vous en place et quels sont les problèmes
rencontrés ?
Dr RZ : Nous essayons de mettre en
place dans toutes les régions et
plus particulièrement dans la vallée
de la Bekaa une agriculture raisonnée.
Cette agriculture permet d'atteindre deux
objectifs :
- " Améliorer les moyens d'existence
des agriculteurs
- " Diminuer les externalités
négatives d'une agriculture intensive.
Les problèmes surgissent lorsqu'il
s'agit de partager l'eau entre les tribus
notamment entre celles qui sont en amont
et celles qui sont en aval.
"L'eau n'est pas
la priorité du développement
durable"
H : L'eau est-elle pour vous
la priorité du développement
durable ?
Dr RZ : Non je ne crois pas, pas au
Liban. Il y a de l'eau en quantité
suffisante, elle n'est donc pas la priorité.
Je fais partie de ces quelques individus,
qui considère que le développement
durable n'a pas de centre
la seule
priorité ici au Liban, est"
l'equity", à savoir cette autodétermination
des peuples. Cela dit, la théorie
du développement durable est une
théorie du Nord qui ne trouve pas
forcément sa place dans nos pays
du Sud
Et pourtant pour le Sud, nous
sommes considérés comme un
pays du Nord.
H : Avez vous un exemple de projet
à nous présenter en particulier
?
Dr RZ : La faculté des sciences
agro-alimentaires de l'université
américaine de Beyrouth a créé
un département appelé UDSE
(Département de développement
social et environnemental). Ce département
a été monté dans le
but d'aider au développement rural
et environnemental du Liban. L'un des projets
phares de cette faculté est le projet
Qaraaoun, un projet de développement
agricole intégré dans l'ouest
de la Bekaa.
H : Comment le projet a-t-il
été initié ?
Dr RZ : Il y a quelques années
de cela (pendant et après la guerre),
Qaraaoun et les villages environnants ont
connu un flux migratoire important vers
les USA notamment, mais aussi, vers l'Amérique
Latine et l'Afrique. En conséquence
le secteur agricole était laissé
à l'abandon.
Une proposition de projet fut présentée
par l'UDSE au fonds américain d'aide
au Liban. Cette demande incluait plusieurs
transferts de technologies et d'infrastructures.
Le projet fut accepté et effectivement
lancé en Décembre 2001 pour
un durée de 18 mois avec une possibilité
de prolongation de 3 mois.
Il a été mis en place sur
les bords du lac artificiel de Qaraaoun
(sur le Litani) au Liban dans la vallée
Ouest de la Bekaa
"Le secteur agricole
peut être profitable si soutenu par
des infrastructures adaptées"
H : Quelles ont été
les découvertes au fur et a mesure
de l'avancement du projet?
Dr RZ : Les locaux (agriculteurs)
se sont rendu compte que le secteur agricole
pouvait être profitable, si soutenu
par des infrastructures adaptées,
une coopération entre exploitants,
et l'appui d'institutions privées
telles que l'AUB (American University of
Beirut) et des ONG.
H : A quels types de problèmes
ont-ils du faire face ?
Dr RZ : Les nouvelles pratiques agricoles
(agriculture biologique) cumulées
à l'utilisation de nouvelles technologies
sont difficilement effectives dès
la première saison, ce qui implique
un temps d'adaptation plus long que prévu
et des répercussions sur la rentabilité
escomptée. Cependant le département
a mis en place une aide à la vente
(formation marketing) des produits biologiques
de manière à rendre ce commerce
profitable.
Afin de commercialiser les produits, l'AUB
a aussi créé avec les agriculteurs,
une entreprise de vente des produits agricoles.
H : Quelles sont les techniques
d'irrigation utilisées ?
Dr RZ : Pour la plupart de nos projets,
nous utilisons les techniques suivantes
:
- goutte à goutte, surtout pour le
maraichage, qui est la plus économe
en eau;
- aspersion, pour les grandes cultures.
Le but étant de limiter l'usage de
l'irrigation par inondation qui gaspille
beaucoup trop d'eau.
"Il nous est difficile
d'évaluer l'impact de nos activités
sur l'environnement"
H : Comment évalué
vous votre impact sur l'environnement ?
Dr RZ : Il nous est difficile d'évaluer
l'impact (externalités) de nos activités
sur l'environnement à court terme.
Aucune mesure n'est prise Avant et Après
la mise en place d'un projet
H : Quel est le budget nécessaire
pour mettre en place un projet de ce genre
?
Dr RZ : Le budget total du projet s'élève
à 685 000 $ (le salaire moyen au
Liban oscille entre 200 et 300 $ par mois...)
financé en grande partie par des
fonds américains (USDA).
Le budget comprend le coût des spécialistes,
des infrastructures, et 90% des frais de
roulement de l'activité (fonds préalablement
nécessaires au fonctionnement de
l'activité)
En moyenne, un exploitant agricole qui décide
d'adopter la nouvelle technologie d'irrigation
peu générer entre 3500$ à
5000 $ par hectare et par saison au lieu
de 1500 $ dans le meilleur des cas.
"Le succès
et la pérennité d'un projet
repose sur une intégration de l'activité"
H : Que faut-il retenir du projet
Quaraaoun ?
Dr RZ : Notre travail au quotidien
auprès des agriculteurs nous a fait
remarquer que ce dernier était, en
général, assez mal informé
sur les nouvelles pratiques agricoles et
les nouvelles opportunités. Aussi,
dans la région de la Bekaa, une campagne
marketing bien adaptée et beaucoup
mieux ciblée, permettrait d'obtenir
de bien meilleur résultat en matière
d'implémentation de nouvelles technologies.
Notre expérience dans le secteur
de l'agriculture de développement
nous permet aussi d'insister sur cet autre
point, "le succès et la pérennité
d'un projet repose sur une intégration
de l'activité". C'est à
dire, vouloir prôner l'agriculture
biologique sans faire une campagne marketing
au préalable est voué à
l'échec. L'exploitant cherche en
tout premier lieu à voir le gain
pour lui
il est donc impératif
de lui parler, dans un premier temps, en
terme de profitabilité et ce au moyen
d'argument marketing percutant !
<
précédent suivant
> retour
<<
|