Deux routes pour rejoindre la Bolivie
Aujourd'hui Samedi 3
janvier 2004
L'angoisse me ronge, je me sens écrasé,
fatigué et j'en baille à m'en
décrocher la mâchoire. Autour
de moi règne une odeur nauséabonde
qui ne fait qu'aggraver cet état
de déprime.
Que faisons-nous là, et pourquoi
cette déprime ? Tout commençait
pourtant bien, il n'y avait pas eu de pluie
depuis trois jours, du moins au Brésil.
La piste le jour du départ était
parfaite, nous avions même commencé
à lui donner des petits noms. Il
y avait d'abord eu la "piste aux papillons"
car des milliers de papillons s'agglutinaient
autour des petites flaques de la route.
Ensuite il y avait eu la "piste aux
cochons", car les flaques grandissant,
les cochons se baignaient dedans. Ensuite
il y avait eu la "piste aux camions"
parce que nous avions croisé et manqué
de percuter à maintes reprises d'énormes
camions. Qui dit camions, dit pistes bousillées
et il y avait donc eu la "piste aux
étangs" difficile à traverser.
Pour couronner le tout et parfaire notre
nouvelle carte de Bolivie, nous avions enfin
eu la "piste aux gués".
"Une telle quantité d'eau n'a
pas été vue depuis 1979".
Il était 17h30, nous étions
près de Roboré à mi-chemin
entre Santa Cruz De La Sierra, notre destination
et Corumba, notre lieu de départ.
Le gué était soi-disant là,
devant nous. Mais en guise de gué,
nous avions une eau qui nous arrivait au-dessus
du genou et des cailloux énormes
au fond de cette rivière gonflée
par les crues. Nous hésitions face
à l'obstacle depuis dix minutes,
dévorés par les taons. Mais
devant l'insistance du chauffeur de la Chevrolet
qui venait de traverser sans encombre, et
son assurance de nous aider en cas de problème,
nous avions décidé de passer,
non sans avoir ôté unes à
unes les grosses pierres.
La voiture est descendue lentement vers
la rivière, s'est enfoncée
dans l'eau, a un peu patiné puis
est ressortie fumante mais indemne. C'est
bon, on continue !
Selon la Bolivienne que nous avions prise
en stop au début de l'après-midi,
ce devait être la dernière
rivière. Bien évidemment 500m
plus loin, alors qu'il commençait
à faire noir, nous sommes tombés
sur une autre, c'était la cinquième
de l'après-midi, sans compter les
vingt flaques grandes comme des étangs.
Sur ce gué étaient déjà
plantés un camion et un 4x4.
"C'en est trop, on fait demi-tour ?"
Geoffroy veut faire demi-tour, rendre la
voiture et continuer en train.
Inconscient devant les problèmes
qui nous guettent, je voulais qu'on essaye.
Nous avons donc aidé le 4x4 à
sortir de l'eau puis regardé comment
contourner le camion. Une fois de plus,
la voiture s'est enfoncée dans l'eau
et a amorcé sa remontée sur
l'autre rive. Tout d'un coup notre Bubulle
a calé, plus rien, la voici les fesses
dans l'eau, impossible de redémarrer.
Après 5 minutes de discussions, tout
le monde nous a aidé pour la pousser
et la sortir de l'eau. En quelques minutes
l'eau avait pénétré
dans tout l'habitacle. Mais ce n'est pas
ce qui nous inquiétait le plus. Comme
d'habitude les pronostics fusaient : "le
moteur est foutu, ce sont les bielles qui
ont lâchées et patati et patte
à l'air
" Ce dont nous
étions surs, c'est que en cas de
gros problème, la voiture était
irréparable en Bolivie.
Le chauffeur de la Chevrolet nous a alors
apporté l'assistance promise, et
bien plus. Il nous a d'abord aidé
à tracter Bubulle avec sa vielle
guimbarde et cela pendant plus d'une heure
à l'aide d'une corde qui se rompait
tout le temps. Il fallait alors s'arrêter,
faire un nud plat et repartir. A chacune
de ces opérations, les deux voitures
se rapprochaient inexorablement l'une de
l'autre ce qui n'était pas sans danger.
Comble de perfectionnement, après
15 minutes sans moteur, l'ordinateur de
la C3 est passé en mode économique
et nous n'avions plus d'électricité.
Une fois de plus, comme dans le désert
égyptien, nous avons du sortir notre
lampe frontale et éclairer notre
"sauveur" pour éviter de
le percuter au premier coup de frein.
Aujourd'hui nous sommes dans la famille
de la Chevrolet. La maison à proprement
parler est constituée de trois pièces,
deux chambres (dont une nous a été
réservée) et une salle télé.
Dans le jardin une autre petite maison avec
deux autres chambres et un autre petit bâtiment
pour la douche et les toilettes. Heureusement
seul l'extérieur à été
inondé, mais c'est là que
se déroule la vie de la famille pendant
la journée, sous un toit de chaume,
cuisine, salle-à-manger, salon, tout
est encore boueux.
Nous sommes donc dans l'attente d'un mécanicien
pour qu'il nous confirme que nous avons
serré le moteur ou pété
une bielle ou pire. Qui sait ? Ensuite nous
verrons ! Cela fait un jour et une nuit
que notre périple a commencé
en Bolivie et déjà nous devons
changer nos plans pour toute l'Amérique
du Sud et sans doute perdre cette voiture.
Aujourd'hui Lundi 5
janvier 2004
Voici trois jours que nous sommes dans cette
famille. Le problème de la voiture
s'est transformé en un autre problème.
En fait, lors de la noyade, de l'eau est
entrée dans le moteur par l'arrivée
d'air. Il a donc suffit de virer les bougies
et de faire tourner le moteur. Quand je
dis "il a suffit", c'est un peu
court, en fait les bougies nécessitaient
une clé spéciale que personne
n'avait ici. Le technicien a donc pris une
pièce de métal creuse et l'a
mise au feu. Quelques coups de marteau plus
tard, nous avions une belle clé spéciale
pour bougies de C3.
Le nouveau problème c'est la fuite
d'huile que nous avons découverte
en bougeant la voiture. "Choueeeette
! !"
Il semblerait que ce soit la boite de vitesse.
Nous ne savons pas encore très bien
que faire, peut être partir demain
?
Hier nous sommes allés à l'endroit
de la rivière où l'eau potable
du village est captée. La balade
dans la montagne était très
agréable, sauf pour Geoffroy qui
était en tong. Nous avons d'ailleurs
croisé deux espèces de singe.
Impressionnants quand ils ne sont pas en
cage !
Aujourd'hui Mercredi
7 janvier 2004
Nous partons tôt ce matin pour rejoindre
Campo Grande au Brésil. Eh oui !
Après le diagnostic téléphonique
du technicien Citroën, nous avons une
fuite au joint de l'arbre primaire. Si l'huile
sort hors de la boite cela veut dire qu'elle
peut aussi contaminer l'embrayage, et là,
c'est vraiment la merde !
En fait, ce joint a une faiblesse à
la construction. Il se trouve qu'avec ce
que nous lui avons fait subir; il a été
encore moins résistant.
Pour le voyage du retour (1000Km) nous allons
vite remettre de l'huile chez un garagiste
du coin qui nous conseille de tout remplacer
par une huile très visqueuse afin
que nous en perdions le moins possible en
cours de route.
Seule tâche noire, c'est l'amende
de US$60 par personne qui figure sur notre
passeport et que nous devons payer lors
de notre prochain retour au Brésil.
Aujourd'hui Samedi 10
janvier 2004
Nous sommes enfin en Argentine, cela fait
5 ans que je n'y ai pas remis les pieds.
Le retour sur 300Km de piste bolivienne
s'est très bien passé, nous
avons mis 10 heures. Les cinq passages de
gué et les vingt étangs-flaques
n'ont pas posé de problèmes.
Sagement, nous adoptions toujours la même
technique qui était de descendre
de la voiture en short et pieds nus pour
sonder l'endroit exact où devait
passer chaque roue. Accessoirement ces sorties
nous permettaient aussi de nous faire dévorer
par les millions de moustiques et de taons
qui peuplaient les marais avoisinants.
A 22h nous étions à Corumbá,
la frontière étant fermée,
nous n'y sommes donc pas passés.
Le lendemain après 600 Km de route
au Brésil, nous sommes arrivés
chez Citroën.
Nous avons un moment songé à
revenir en arrière et retenter la
piste, mais nous sommes trop fatigués
que pour affronter toutes les incertitudes
qu'elle comporte de plus suite au crue un
pont a été emporté
(bilan 15 morts) entre Santa Cruz et Lima,
nous contraignant à faire un détour
de 2 jours.
Nous avons donc décidé de
traverser le Paraguay, l'Argentine puis
le Chili pour rejoindre La Paz. C'est une
folie, il s'agit de 4000Km, mais je voulais
absolument voir la cordillère et
les peuples andins. L'autre alternative
était de descendre voir la Terre
de Feu, mais ce sont 7000Km aller et retour,
avec peu de rencontre de population (l'Argentine
est composée de 84% de citadins,
les campagnes sont donc vides) et un paysage
assez monotone dans les plaines : de l'herbe,
des arbres et des vaches ! Et enfin, vers
la fin du deuxième tiers de la route
des paysages grandioses.
Nous sommes donc partis de grand matin pour
le Paraguay. Arrivés à la
frontière paraguayenne, nous venions
de faire 24h au Brésil sans visa
et nous en étions très fiers.
Mais lorsque l'enfoiré de douanier
paraguayen nous a donné une contravention
de US$40 par tête de pipe pour ne
pas avoir de visa de sortie de Bolivie,
nous faisions nettement moins les malins.
Amende ou pot de vin, nous ne saurons jamais
malgré le reçu qui nous a
été délivré.
Nous avons payé parce que nous n'avions
pas le temps de faire les piquets de grève.
A peine 300 mètres après
la douane, nous étions arrêtés
à un poste de police. Un flic à
la Sancho Panza a vérifié
nos papiers, et nous a annoncé l'air
contrit "vous n'avez pas vos phares,
c'est obligatoire ici, c'est US$100 payable
à la banque nationale". Là
dessus j'ai vu rouge, il disait vrai, nous
n'avions pas vu le panneau, mais trois voitures
venaient de passer sans phares et il n'avait
pas bronché. Sur ce je lui ai arraché
les papiers de la main en lui disant hors
de moi : "Je ne reste pas une minute
de plus dans ce pays, je retourne au Brésil.
Je viens déjà de payer une
amende à la frontière. Qu'est-ce
que vous croyez que l'argent tombe du ciel
?"
Sur ce à ma grande surprise, mon
Sancho Panza m'a rendu une partie des papiers
que je n'avais pas récupérés
et m'a dit "vous n'avez qu'à
continuer, mais vous aurez des problèmes
plus loin". Et tout s'est bien passé
par la suite !
Le soir même nous roulions de nuit
sur une route bonne, mais parsemée
de trous meurtriers. Ce sont les pires routes,
elles vous mettent en confiance, la voiture
avance toute seule et soudain grand coup
de volant pour éviter un foutu nid
de poule (au plutôt d'autruche !).
En fait, nous nous sommes plantés
et nous avions pris le chemin le plus long
pour arriver à Asunción. Chouette
on ne demandait que ça !
Du coup on s'est retrouvé en plein
Pantanal paraguayen et la seule chambre
que nous avions trouvée était
dans une petite ferme pourrie. La chambre
était sale et décrépie,
mais avec un ventilateur. Heureusement nous
avions un oreiller, un sac à viande
et une moustiquaire pour nous isoler un
peu de cet environnement hostile.
Dehors, sous les lampadaires une colonne
opaque de milliards de moustiques rêvait
de nous dévorer. Sous cette colonne,
trois crapauds buffles (gros comme des hérissons)
essayaient vainement de nous aider en les
bouffants goulûment.
Aujourd'hui lundi 12 janvier 2004
Voici deux jours que nous roulons en Argentine.
Que c'est grand et monotone !
Pour agrémenté notre route,
une petite histoire drôle : la rencontre
de gentils flics tout sourire qui voulaient
vérifier nos papiers. Chose faite,
il ont voulu voir les deux triangles catadioptres
de secours obligatoires (et nous n'en avions
qu'un) et la barre de remorquage de rigueur
(et nous n'avions qu'une corde).
Devis de l'amande US$100, ça devient
une manie ! En dix minutes, ils ont compris
que nous n'avions pas un peso, que nous
étions prêts à aller
en prison si nous contrevenions à
la loi. Et que de toute façon "Monsieur
untel de l'ambassade de France à
Buenos Aires, que nous connaissons bien,
saura quoi faire pour nous expliquer nos
droits et nos devoirs et envoyer de l'argent
si nécessaire". D'agents de
police ils se sont immédiatement
transformés en vendeurs d'articles
automobiles, nous disant où acheter
la barre et le triangle et à quel
prix.
Merci, au revoir !
Aujourd'hui nous sommes arrivés tôt
dans un hôtel de Jujuy où nous
avons négocié comme des bêtes
une superbe chambre pour une bouchée
de pain.
C'est mon anniversaire et en ce jour de
fête nous avons fait un bon gueuleton
arrosé d'une bonne bouteille d'un
blanc fruité argentin. Je suis gâté,
Geoffroy à Khartoum le jour de son
anniversaire avait du se contenter d'une
demi-bière que nous avions difficilement
trouvée dans un pays où la
vente d'alcool est interdite.
Aujourd'hui jeudi 15
janvier 2004
Nous sommes déjà au Chili.
En quittant Jujuy il y a deux jours nous
avons emprunté une route spectaculaire
sur laquelle nous avons pris pleins de photos.
Mais la route montait vite, très
vite, l'oxygène se faisait rare,
j'étais à 110 pulsations minutes
sans rien faire, Geoffroy, lui, résiste
mieux, il était à 80. En fait
nous découvrirons quelques mètres
plus haut que nous étions à
4270mètres !
La route a ensuite traversé plusieurs
Salars (lacs salés asséchés).
Elle était parfaite, nous avons donc
pu foncer à 150 km/h à 4000m
d'altitude entre deux lacs salés,
ce fut assez impressionnant.
Rencontre au sommet
: Bertrand Gonthiez et Hydrotour
Un titre bien prétentieux, mais qui
décrit bien la géographie
du lieu de rencontre, les sommets sont autour
de nous. Nous sommes à San Pedro
de l'Atacama le désert le plus parfait
du monde (moins de 5mm de précipitations
par an).
Bertrand Gonthiez est un vrai professionnel
de l'eau (lui au moins
). Ancien d'Hydraulique
Sans Frontières, il vient de créer
une ONG appelée IDEau. Depuis trois
mois, il sillonne les routes d'Amérique
du Sud (et ce pendant six mois) à
la rencontre de projets pour l'eau. Nous
sommes bien content de croiser un confrère
et nous en profitons même pour l'interviewer.
C'est avec beaucoup de tristesse que nous
l'avons quitté en dessous de San
Pedro de l'Atacama, nous allons vers le
Nord et lui vers le Sud.
En le quittant, nous avons fait la connaissance
de la panaméricaine ou route N°5
dans sa portion chilienne. Nous nous attendions
à une autoroute superbe et nous sommes
tombés sur une deux voies, assez
bonne, mais, par endroit, toujours ces fameux
trous !
Aujourd'hui le 15 nous sommes arrivés
à Arica, ville la plus au nord du
Chili avec ses plages, ses spots de surf,
ses églises et, ce qui nous intéressent
le plus, ses cybercafés pour la mise
à jour de notre site Internet.
Nous partirons après demain pour
la Bolivie et le parc naturel de Sajama,
4200m d'altitude pour la plaine, 6520m pour
le volcan Sajama, le plus haut sommet de
Bolivie.
Journal du 2 au 15 janvier
2004 écrit par Loïc
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