De l'extrême Ouest
à l'extrême Est
Tante Anne, "la guerre",
"son mari polonais", "l'impossibilité
pour lui d'exercer son métier en
Europe" et" l'obligation pour
eux d'aller trouver meilleure fortune sous
d'autres cieux", "loin, très
loin de la France". Quand nous étions
enfants, c'était ces quelques mots
qui revenaient souvent à la bouche
de nos parents pour parler de la sur
de notre grand-père. Une idée
aussi était régulièrement
mise en avant celle de Courage. Elle avait
du, en effet, au lendemain de la seconde
guerre mondiale tout quitter, père,
mère, frères et surs,
pour suivre son mari à l'autre bout
du monde...
Lui était médecin polonais.
Toute la guerre, il la passa en captivité
dans un camp en Allemagne, tandis que sa
première femme et ses deux enfants
périssaient sous les tonnes de bombes
qui écrasèrent Varsovie. Puis
la Paix survint et le coup de foudre avec
ma tante qui était partie en Allemagne
soigner les rescapés des camps. Mais
la guerre avait déchiré les
pays européens pour longtemps. La
France ne voulait pas reconnaître
son diplôme, l'Allemagne était
encore en ruine, la Pologne déjà
sous le joug des soviets, seule l'Argentine
leur tendait les bras. C'était décidé,
ils partiraient pour le Nouveau Monde sans
un sous vaillant en poche
.
Dans la famille et tout spécialement
dans nos têtes de gosses, la Tante
Anne était donc devenue au fil des
années et des histoires abracadabrantes
qui traversaient l'Océan Atlantique,
un véritable mythe vivant incarnant
l'aventure. "Quand nous avons pris
le bateau avec mon mari pour arriver ici,
nous raconte-t-elle aujourd'hui en riant,
nous n'avions pour tout bagage qu'une simple
valise et l'adresse d'une vague cousine
issue issue germaine à Buenos Aires"...
Nous l'écoutons passionnément,
non pas au coin du feu, mais sur sa terrasse
car il fait chaud, nous parler de ces innombrables
histoires. Pour n'en citer qu'une parmi
mille qui en vaillent la peine, il y a 15
ans, quand elle en avait encore 75 donc,
elle décida avec une de ses petites
nièces d'aller voir les chutes d'Iguaçu
en faisant la route avec sa Fiat 500. "C'est
vrai, en y réfléchissant,
que ce n'était pas très sérieux
de faire 3000 km dans cette petite barquette,
mais qu'est-ce que nous avons ri toutes
les deux
"
"Les meringues sont cuites ! Sors-les
du four Loïc s'il te plait" nous
crie tante Anne du fond du jardin.
Mes yeux pétillent, ma bouche salive
enfin de la bonne bouffe bien française.
Ça fait deux mois que nous ne mangeons
plus rien, depuis que nous avons laissé
le Brésil derrière nous. En
Bolivie et au Pérou nous ne mangions
que du riz et de la banane, de temps à
autre une soupe clairette avec des patates
et de la viande, et au Chili, le coût
de la vie nous empêchait de manger
à notre faim. A notre grand bonheur,
tous les jours, un cri nouveau sortait de
la bouche de notre tante, à chaque
fois pour annoncer le nom d'un dessert toujours
plus gros et plus appétissant. Nous
reprenons vite les quelques kilos, que nous
avions perdu sur la route.
Mais l'Argentine ce n'est pas que Tante
Anne et ses délicieuses meringues.
C'est aussi, le cheval, les gauchos (prononcer
"gaouchos") et leurs magnifiques
accoutrements d'homme de la terre.
Ignacio, notre cousin argentin, petit-fils
de notre tante, est d'accord pour nous emmener
à cheval découvrir la Sierra
Cordoba. Enfin, nous allons pouvoir monter
à cheval, nous mesurer avec cet animal
qui conquit l'Amérique. C'est toutes
les images des vieux westerns de John Wayne
qui défilent devant nos yeux, de
la gamelle de café cuisant sur le
feu le matin, aux chevauchées sans
fin dans un décor paradisiaque comme
peut l'offrir l'Argentine. Notre cousin
nous fera découvrir à dos
de cheval, l'abbaye de Santa Catalina, superbe
résidence des Jésuites en
plein cur de la Sierra (classé
patrimoine culturel de l'humanité
par l'UNESCO), plus deux trois autres sites
historiques enchâssés dans
des écrins de verdure unique.
Seulement nous avions omis de prendre en
compte un détail important, se remettre
au cheval n'est pas aussi simple que la
réminiscence de nos désirs
de jeunesse. La joie des premiers instants
a donc vite cédé la place
à la douleur musculaire de notre
postérieur. Paraîtrait-il,
que les Huns pouvaient faire cuire de la
viande sous leurs selles tellement ils montaient
à cheval. En ce qui nous concerne,
notre spécificité à
nous, c'est plutôt de faire de la
compote avec nos fesses
Ah ça
pour sûr, on ne s'improvise pas Gauchos
du jour au lendemain !
Voilà déjà maintenant
trois jours, que Papa nous a quitté.
Il a pris l'avion depuis l'aéroport
de Cordoba pour Buenos Aires, d'où
il prenait une correspondance pour New York
puis ensuite une autre pour Paris. C'est
un trajet long et éprouvant. Mais
nous sommes sûrs d'une chose, c'est
qu'il n'oubliera pas de sitôt la traversée
du spectaculaire désert de l'Atacama,
l'ascension du majestueux Misti et l'intrigante
ville suspendue de La Paz à cause
de ces quelques heures d'avion. Il n'oubliera
pas non plus ce délicieux goût
de viande braisée laissé par
les Asados (grillade au feu de bois) que
nous préparaient nos cousins.
Après Papa, c'est à notre
tour de reprendre la route pour de nouveaux
horizons. Nous profitons du mercredi des
Cendres pour faire notre paquetage et dire
adieux à toute la famille argentine.
Pour le départ, tante Anne nous avait
réservé une surprise, nous
la revoyons encore nous courir après
avec à la main un sac remplis de
grosses meringues alors que nous étions
sur le point de partir. "Vous alliez
partir sans ça. C'est qu'une longue
route vous attend vous savez
Hé
puis vous penserez à moi en les mangeant
!" Les derniers mots de notre tante
achèvent de nous convaincre totalement
d'embarquer les meringues. Nous faisons
adieu par la même occasion, à
nos grandes résolutions de ne pas
manger de sucreries pendant le Carême.
Nous mettons le cap à l'est direction
les Foz d'Iguaçu, température
extérieure affichée sur le
tableau de bord d'Adrienne 28 C°, distance
à couvrir 1500 km en 2 jours. Ca
devrait le faire à l'aise. Nous faisons
une halte à mi-parcours aux portes
de La Paz. Cette ville a des consonances
boliviennes qui nous rappellent les débuts
de notre épopée en Amérique
du Sud. Elle est sur les bords du puissant
Rio Parana qui se situe aux confins de l'Argentine,
fleuve mitoyen avec le Paraguay et le Brésil.
En tombant dessus la première fois,
nous avons d'ailleurs l'impression de voir
la mer. Plus beaucoup de kilomètres
nous séparent maintenant d'Iguaçu,
l'impatience nous gagne d'en finir avec
la route. Nous nous rappelons à cet
instant de ce que disait notre tante Anne
en parlant des chutes : "Les fosses
d'Iguaçu sont pour moi la plus belle
chose de la création après
mes enfants". Nous avions été
frappés par la force de cet aveu.
A peine arrivons-nous à Iguaçu
que nous courrons à l'office du tourisme
pour nous renseigner sur les horaires d'ouverture
du Parc et sur les tarifs d'entrée.
A notre grande stupeur nous apprenons que
les non-résidents (touristes) payent
trois fois plus que les résidents
pour visiter le Parc. Tant pis nous n'avons
malheureusement pas le choix et comptons
de toutes manières voir coûte
que coûte ces célèbres
chutes d'eau.
Le lendemain matin, appareils de photo et
caméra au poing, nous filons nous
présenter à l'entrée
du parc.
"Bonjour Madame deux tickets s'il vous
plait".
Au moment où elle nous annonce la
bouche en cur le prix des tickets
j'ai envie de crier au scandale, puis me
tais finalement pour ne pas gâcher
toute la visite.
Une fois à l'intérieur vous
avez le choix entre deux possibilités
: soit marcher à pied, soit prendre
un petit train pour aller directement au
pied des chutes. Nous décidons d'opter
pour la formule sportive
En face de nous, un dédalle de ponts
de singe améliorés suspendu
au-dessus d'une kyrielle de chutes d'eau
nous conduit après deux heures de
marche au cur de la tourmente, le
"trou du démon". A cet
endroit précis, une fracture de 82
mètres de haut de la croûte
terrestre engloutit goulûment dans
ses entrailles tout ce que la terre peut
porter en eau. Le spectacle est majestueux
et abondant, arrosé par un nuage
de fine gouttelette d'eau en suspension.
Nous sommes sous le charme à la fois
absorbés par ce trou béant
et envoûtés par ce désir
insatiable de l'eau d'offrir à l'Homme,
en se propulsant là, à cette
hauteur, l'un des plus beaux spectacles
du monde.
Inversement, le barrage d'Itaipu, que nous
visitons le lendemain, nous donne des frissons.
Il est gigantesque et terrifiant, nous avons
froid dans le dos en le voyant. Pourtant
son histoire est belle, puisqu'il est le
fruit d'une collaboration intense entre
deux pays, le Brésil et le Paraguay
pour dompter les eaux tumultueuses du Rio
Parana. Nous apprenons lors de la visite
qu'Itaipu signifie en Guarani (langues des
indiens d'Amérique du Sud) : "La
pierre qui chante". C'était
le nom de l'île et de la cataracte
sur laquelle fut construit le barrage. Aujourd'hui
l'eau ne chante plus, mais fournit à
l'homme une énergie précieuse
et renouvelable, nécessaire à
sa survie.
C'est la tête remplie de ces images
d'eau, que nous reprenons notre route pour
l'étape finale, le retour sur Sao
Paulo et notre envolée pour l'Asie.
Il ne nous reste que 3 jours pour préparer
notre départ pour l'Ile du soleil
levant, acheter nos billets et rendre Adrienne
II à Monsieur Habib. Nous retrouvons
Sao Paulo comme nous l'avions quittée
deux mois plutôt. Seul l'été
a passé pour laisser la place à
des jours plus frais. Mais l'ambiance festive
est toujours au rendez-vous, même
si les frasques du carnaval en ont calmé
plus d'un. Nous retrouvons heureusement
nos amis qui nous aident dans nos démarches
administratives. Notre départ est
fixé au 2 mars à minuit.
Journal du 16 février
au 2 mars 2004 écrit par Geoffroy
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