Tout s'enchaîne très
vite, maintenant que nous avons rendu Adrienne
II. Dorénavant nous ne devrons plus
compter que sur nos propres moyens et sur
le dévouement de nos amis, ou amis
d'amis, à nous rendre service. Rien
que d'y penser, nos pieds nous font déjà
mal, et nos sacs nous semblent trop lourds
à porter. La chose la plus dure sera
très certainement d'être organisés
et de tout prévoir à l'avance
en n'oubliant rien derrière nous.
Car comme le disait à juste titre
notre chère Bonne Maman, "quand
on n'a pas de tête, on a des jambes
".
Cinquante-cinq minutes
c'est ce qu'il nous reste exactement pour
arriver à l'aéroport, retirer
nos billets et sauter dans l'avion en train
de décoller. C'est Pierre-Marie,
un ami français de Sao Paulo, grand
musicien devant l'Eternel, qui se coltine
le droit de nous conduire d'urgence à
l'aéroport. "Ne vous en faites
pas les gars, nous dit-il jovialement, je
gère la crise". Aussitôt
dit aussitôt fait, nous fûmes
effectivement en deux coups de klaxon et
trois dérapages plus ou moins "contrôlés"
dans le hall de l'aéroport. Le Steward
en nous voyant arriver la bouche en cur
se redresse en faisant mine de n'attendre
plus que nous. Nos passeports sont dans
une main, les billets dans l'autre, prêts
à couper court à toutes remarques
désagréables de sa part. Il
les saisit, s'affaire sur son clavier, puis
relève la tête quelques secondes
plus tard l'air contrit.
"Que va-t-il nous inventer encore celui-là
?", se dit-on tout bas.
"Je suis désolé messieurs,
il n'y a plus de place en classe économique,
nous sommes obligés de vous up-grader
en Business-class".
Nous étions comme de véritables
bouledogues devant son comptoir, prêts
à lui sauter dessus s'il nous annonçait
quelque chose de travers.
Hein! ? C'est quoi ça Business-class
? Ca veut dire quoi ? Ch'connais pas ! Trouve
une autre excuse
Bref, nous avions tout prévu, bien
décidés à faire un
esclandre à la française en
cas d'embrouille. Au lieu de ça,
notre figure se reprit très dignement,
en essayant de contenir au maximum l'explosion
de notre jubilation qui montait depuis nos
orteils jusqu'aux lobes de nos oreilles.
Il est 23h55, l'avion décolle dans
5 minutes, nous ne pensons déjà
plus qu'à une seule chose : dormir
dans les sièges inclinables et se
faire dorloter par les hôtesses sexy
de la Varig. La durée du voyage est
de 38 heures (décalage horaire compris)
avec une escale à New York. Notre
rêve ne durera que le temps du trajet
Sao Paulo - New York, après, nous
redevenons des passagers ordinaires, relégués
à l'arrière de l'appareil
en classe économique.
Triste vie que celle d'un Hydrotrotter !
La beauté des espaces
limpides vue d'en haut nous laisse rêveurs.
Derrière nos hublots, nous sommes
élevés au rang de demi-dieu,
ceints de ce sentiment puéril de
croire que nous possédons la faculté
de comprendre le langage des fleurs et des
choses muettes. Au-dessous de nous, les
reflets argentés de l'Océan
Pacifique viennent chatouiller la calandre
du zinc. Je songe un instant à la
fameuse expédition du Marquis de
La Pérouse, si chère à
Louis XVI, qui avait échouée
Dieu sait où sur une île, perdue
encore aujourd'hui au beau milieu de cette
immensité profonde et mystérieuse.
Drôle de destinée que la sienne
!
Ces 38 h de voyage nous laissent tout juste
le temps de nous documenter sur le Japon.
Qu'est-ce qui nous attend la-bas ?
Nous n'en avons aucune idée.
C'est marrant, les pays arabes nous intriguaient
moins, pourtant tout aussi éloignés
de nous que les nippons au niveau culturel.
En fait, nous ne savons rien de ces fragments
d'îles situés aux confins de
l'orient et de l'occident. Et pourtant eux
savent tout de nous. Il suffit de les observer
quand ils viennent par cars entiers déambuler
dans les rues parisiennes. Ils ne rêvent
tous que d'une chose, depuis qu'ils sont
tous petits, marcher dans les pas de nos
plus grands acteurs, manger nos meilleurs
fromages et déguster notre plus vieux
champagne. Non pas vivre à l'Européenne
en reniant leur culture, mais expérimenter
une fois dans leur vie ce à quoi
ils vouent une véritable admiration.
Ah si ! Je me rappelle maintenant ce que
nous devons savoir sur ce peuple si subtile.
Une vague réminiscence de la déclaration
d'une ministre "éclairée"
me revient à l'esprit : "Les
Japonais sont des fourmis !". Sans
commentaires
A l'aéroport de
Tokyo (Narita) un ami nous attend, il doit
nous laisser les clefs de son appartement
en plein centre de Tokyo, la classe ! Surtout
si l'on considère, qu'un japonais
en moyenne fait entre 3 et 4 heures de transport
par jour pour arriver à son boulot
situé dans le quartier des affaires
de Tokyo à Chiyoda-ku.
Nous ne ferons malheureusement que nous
croiser en coup de vent, car, lui prend
le même jour un avion pour Paris.
Après nous avoir offert un sandwich
et donné toutes les explications
pour arriver à son domicile, nous
nous séparons, son avion décolle
dans 1 heure.
Nous avançons à
tâtons dans les rues, brisés
par la fatigue de ces heures de voyage.
Sans vraiment trop savoir comment, nous
trouvons son appartement. Sur la table de
sa cuisine, nous attend un mot réconfortant:
"Vous trouverez quelques bières
dans le Frigo, servez-vous, elles sont là
pour ça ! En bas il y a deux vélos
mis à votre disposition pour visiter
Tokyo, ci-joint le téléphone
d'un ami, Bertrand, il est au courant, vous
pouvez l'appeler"
Signé : Emmanuel Arnould
Nous sirotons 2 bières bien fraîches
au pied du lit avec cette petite pensée
dans le cur, que la vie est belle
La nuit sera longue, nous nous levons à
15H00 après s'être couchés
à 4h00 du mat'.
Tokyo est une ville sans
âge, où tout est propre et
sent le neuf, exception faite bien sur de
cette forte odeur de soupe de poisson qui
flotte le soir autour de la gare centrale.
Les chaussées sont nickelles, à
faire pâlir de honte le revêtement
des rues de nos capitales européennes.
La moindre égratignure dans l'asphalte
fait l'objet d'un déplacement des
travaux publics, qui remplacent sans atermoyer
le macadam sur un segment long de 10m. Cette
frénésie pour le neuf trouve
son explication dans les fréquents
tremblements de terre qui secouent le sol
nippon. Aussi tout bâtiment de plus
de 50 ans est-il voué à être
détruit, puis reconstruit à
nouveau, afin de satisfaire aux normes sismiques.
Voilà une mise en application discrète
par les politiques du célèbre
dicton qui veut que "quand l'immobilier
va, tout va !"
Les Japonais sont exquis
et serviables. Dans la rue, ils feindront
de ne pas vous remarquer pour ne pas vous
déranger. Mais, si vous leur demandez
un renseignement, alors ils s'empressent
de vous aider en mettant un doigt sur la
bouche ou sur la tête en signe d'interrogation.
Une fois cette interrogation surmontée,
ils poussent deux ou trois cris gutturaux
signifiant très certainement dans
notre langage à nous "Eurêka
j'ai trouvé". Les observer est
un vrai bonheur, nous ne faisons pas un
pas dans la rue, sans nous réjouir
de la découverte d'une nouvelle mimique
sur l'un ou l'autre visage rencontré.
Le contraste avec les pays latins est évidemment
très fort.
Quand ils tombent malades, ils mettent devant
leur bouche et leur nez un cache blanc pour
ne pas indisposer leurs voisins de métro
ou leurs collègues de travail. Pour
des européens comme nous, habitués
à partager nos miasmes avec tout
le monde, ce sursaut d'hygiène paraît
surréaliste.
Quant à leurs écoliers, ils
portent tous un casque de chantier sur le
tête pour aller à l'école.
Que risquent-ils !? Les panneaux de signalisation
sont scrupuleusement respectés par
les Japonais.
Avec nos vélos nous
faisons le tour de la ville dans tous les
sens. Les rues sont larges et agréables.
Le cycliste est d'ailleurs convié
à circuler sur le trottoir afin de
ne pas gêner à la bonne circulation
des voitures. Cependant, rares sont les
avenues à être plantées
d'arbres. Cette cruelle absence de verdure
est heureusement compensée par de
nombreux parcs arborés. Dehors il
fait encore trop froid pour que nous assistions
à l'explosion des bourgeons des Sakuras
(cerisiers du japon). Nous sommes trop tôt
dans la saison (Hanani) de quelques semaines
à peine. Quel dommage !
Le Japon, c'est aussi le
royaume des portes à glissière
et des emballages en tous genres. Quand
vous allez au restaurant le plus important
n'est pas tant ce qui se trouve dans votre
assiette, mais plutôt, le décorum
qui est servi avec le plat. A la fin du
repas, vous quittez le tatami le ventre
vide certes, mais satisfait d'avoir su manger
à la mode japonaise comme vous l'expliquait
délicatement la patronne du restaurant.
Ils aiment mettre les petits plats dans
les grands pour le plus grand plaisir d'ailleurs
des grands enfants que nous sommes restés.
Seul casse-tête chinois à ce
monde merveilleux, trouver son chemin pour
aller à un rendez-vous avec une adresse
pourtant bien précise. Même
le plus chevronné des postiers s'en
arrache encore les cheveux tous les matins.
En fait, en guise de numéro, les
immeubles ont des noms. Ce qui donne dans
les faits : Monsieur Tartempion, Immeuble
Saint-Gobain, block 3-7 Kojimachi, quartier
Chiyoda-ku, derrière la maison de
la radio. Si bien que nous ne sommes jamais
arrivés à l'heure à
un seul de nos interviews. Ce qui permettait
à notre interlocuteur japonais de
nous répondre en plaisantant: "Je
connais la ponctualité française
de réputation et d'expérience
"
Samedi 13 mars
Il est 6h00 du matin lorsque
nous sautons dans le train à la gare
centrale de Tokyo. Le Shinkansen doit nous
transbahuter d'une île à une
autre afin de rejoindre la ville de Nagasaki
située à quelques 1200 kilomètres
de la capitale. Les pères franciscain
sont prévenus de notre arrivée.
Nous dormirons chez-eux afin qu'ils nous
parlent de l'après bombe A à
Nagasaki et des conséquences sur
l'eau. Le père Bernardo, supérieur
de la congrégation, a bien insisté
par téléphone sur le fait
que si nous voulions partager le repas avec
la communauté, il fallait que nous
arrivions avant 18h00 précise.
La place prévue pour les jambes dans
le Shinkansen nous sidère. Nous qui
pensions que les Japonais faisaient tout
en modèle réduit, suivant
en cela la tradition millénaire des
bonzaïs, nous nous étions trompés
! Le TGV à côté fait
mesquin en matière d'espace vital,
et qui plus est, le service à bord
est remarquable.
Yokohama, Nagoya, Kyoto, Osaka, Kobe, Hiroshima
puis enfin Nagasaki, ces ville éveillent
en nous un certain malaise, elles ont toutes
du à un moment plus ou moins lointain
faire face à de terribles catastrophes
tel qu'un tremblement terre ou être
le fruit d'expérimentation abjecte
telle que la bombe A. Mais ces noms qui
résonnent dans le hall des gares
au passage du train sont aussi de magnifiques
exemples de courage, preuve d'un désir
acharné de reconstruire et de vivre.
Les paysages traversés ne sont pas
d'une grande beauté. 60% du territoire
nippon est constitué de montagne,
la surface restante est, par conséquent,
exploitée à outrance. Il n'y
a pas une parcelle de terrain qui ne soit
pas sous tension, balafrées avec
des fils électriques qui sortent
de partout. Rien n'est laissé au
hasard, tout ce qui peut être cultivé
est cultivé, idem en matière
d'habitation. Pour trouver de grandes étendues
il faut monter plus au Nord du pays, vers
Hokkaido, mais nous n'avions pas le temps.
Nagasaki, terminus du train,
tout le monde descend des voitures. Une
odeur d'iode émanant de la baie nous
tire de notre somnolence. Nous observons
les gens du coin de l'oeil, ils sont souriants
comme à Tokyo. Autour de nous, tout
semble normal. Rien, ni personne, ne laisse
transparaître qu'ici le temps s'est
arrêté à 11h02 le 9
du mois d'août 1945. Nous sommes sciés
de la manière dont la vie a repris
le dessus sur la mort. Le père Bernardo
nous accueille à bras ouvert en nous
expliquant que son français date
de l'époque où il étudiait
encore en tant que novice à Rome.
Il nous présente à la petite
communauté, 3 pères en tout,
avant de passer à table. En guise
de bienvenue, nos hôtes ont ouvert
une bonne bouteille de Gewurztraminer. C'est
pêché en Carême ! Mais
après tout ce sont des pères
qui nous font boire.
Le lendemain matin, après avoir assisté
à la messe dominicale, nous allons
visiter le musée de la paix. A peu
de chose près il se présente
comme le Mémorial de Caen. On peut
lire sur le fronton de la porte du hall
d'entrée ce très bel épigraphe
: "Nagasaki doit servir d'exemple pour
que plus jamais, ce drame ne se reproduise"
Pendant toute la durée de la visite
nous avons le cur serré à
la vue de photos d'humains déformés
et brûlés à mort par
l'irradiation de l'explosion atomique. Nous
sommes écurés de découvrir
aussi avec quelle logique implacable cette
bombe fut larguée en pleine cité.
"Frapper à mort pour Tuer !"
De retour dans la communauté nous
rencontrons le père Jacques, qui
parle également bien le français.
Nous tentons de le questionner sur les problèmes
d'eau rencontrée après la
bombe A. Contre toute attente, il répond
à nos questions.
"Je me souviens qu'il y avait de l'huile
de carburant partout dans les puits et sur
le lac. Nous ne pouvions pas prendre de
cette eau là. Nous avions besoin
de beaucoup d'eau fraîche pour soigner
mon frère aîné qui était
gravement brûlé. Mais, ça
n'a pas duré très longtemps,
peut être une semaine, car l'eau se
régénère très
rapidement ici du fait du relief montagneux.
Quand la Bombe a explosé, j'avais
neuf ans. Je revenais de confesse de la
cathédrale située à
1km de la maison. A cause du souffle de
la bombe, j'ai été éjecté
à 5m en dehors la maison. Un autre
de mes frères et ma grand mère
sont morts au moment de l'explosion."
"Attendez mon père je vais chercher
mon cahier pour prendre des notes".
Le temps d'aller le chercher, le père
Jacques ne voulait plus témoigner.
"Je ne veux pas me souvenir de ces
heures douloureuses" nous confie-t-il.
Nous comprenons et ne poursuivons pas nos
questions dans ce sens. Le train pour retourner
à Tokyo est à 14h30. Les pères
ne comprennent pas pourquoi nous devons
retourner aussi vite sur Tokyo. En fait,
des interviews nous attendent lundi et mardi,
il nous est impossible de rester plus longtemps.
Notre avion pour Paris
décolle le mercredi 17 mars à
12h00 de Narita. Une tempête de sable
balaye la piste de décollage. Loïc
m'explique que ce sable provient du désert
de Gobi par les vents aériens. Une
nouvelle étape de notre voyage a
passé.
Nous garderons un souvenir impérissable
de notre séjour au Japon
Journal du 3 mars au 16 mars
2004 écrit par Geoffroy
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