Entretien avec Monsieur Abdalla Seifeldin,
directeur de cabinet du Ministre de l'irrigation
et des ressources en eau du Soudan.
Durant cet entretien, nous allons aborder
avec lui les points suivants :
-" le partage des eaux du Nil
-" la quantité d'eau disponible
au Soudan
-" les grands projets que le gouvernement
soudanais met en place pour faire face à
un accroissement de la consommation d'eau
-" l'eau à Khartoum
-" Sa vision de l'eau et du développement
durable et son mot d'encouragement pour
les enfants qui nous suivent
Le partage des eaux
du Nil
" 1959, un partage
équitable des eaux
"
Hydrotour : Existe-il un accord
de partage des eaux du Nil entre votre pays,
le Soudan, et votre voisin du Nord, l'Egypte
?
Abdalla Seifeldin : Oui bien sur ! On
a d'ailleurs coutume d'appeler ce partage
des eaux, un partage "équitable"
des eaux, car il tient compte des besoins
réels en eau des deux pays. Ces accords
ont été signés en 1959
entre le président soudanais de l'époque
Ibrahim Aboud et son homologue égyptien
Nasser.
Hydrotour : Comment ont-ils fait
pour que ce partage soit équitable
dans les faits ?
Abdalla Seifeldin : Pour établir
un partage équitable des eaux, des
experts ont déterminé quel
était le débit moyen par an
et sur 100 ans des eaux du Nil. Il s'élève
à 84 milliards de m³. On a déterminé
quels étaient les apports en eau
autres que le Nil dont disposaient les deux
pays. En fonction de ces différents
paramètres, la part du Soudan fut
fixée à 18,5 milliards de
m³ par an et 55,5 milliards pour l'Égypte.
Hydrotour : Les accords de 1959
sont-ils les premiers du genre entre l'Egypte
et le Soudan ?
Abdalla Seifeldin : Le Soudan a acquis
son indépendance en 1956. Les accords
de 1929 entre le Soudan et l'Egypte avaient
eu lieu sous l'égide de la Grande
Bretagne. A cette époque le Soudan
pouvait ponctionner seulement 4 milliards
de m³ et l'Egypte 48 milliards
"Premiers accords
recensés sur le partage des eaux
du Nil datent de 1891"
Hydrotour : Ces accords
de 1959 sont-ils un cas d'école dans
la région ?
Abdalla Seifeldin : Pendant la période
coloniale de nombreux accords ont été
signés sous la tutelle des pays européens.
Par exemple, les premiers accords recensés
sur le partage des eaux du Nil datent de
1891. Ces accords concernent l'Atbara (rivière
qui prend sa source en Ethiopie et qui se
jette dans le Nil au Soudan), les pays signataires
sont l'Italie et l'Angleterre.
En 1902 à Addis-Abeba, l'Angleterre
et l'Ethiopie signent un traité.
Menlick II (empereur d'Ethiopie) s'engage
à ne pas construire d'ouvrage hydraulique
sur le Nil Bleu, le lac Tana et la rivière
Sobat. Depuis L'Ethiopie a dénoncé
ces accords de 1902 tout comme les accords
de 1959 qui ne lui attribuent rien. Elle
considère que 80% des eaux du Nil
proviennent des sources du Nil Bleu, du
Sobat et de l'Atbara et souhaite donc que
ces accords soient révisés.
Hydrotour : Aujourd'hui,
lorsqu'une décisions doit être
prise concernant l'utilisation des eaux
du Nil, comment vous organisez vous avec
l'Egypte ?
Abdalla Seifeldin : Une commission
technique permanente a été
crée dans le but de répondre
à toutes les exigences qu'imposaient
un tel accord. Elle siège 4 fois
par an, 2 fois à Khartoum, 2 fois
au Caire. Elle est composée de 14
membres répartis à égalité
entre l'Egypte et le Soudan. Le président
de la commission est une année sur
deux soudanais. Cette commission a pour
mission de faire des mesures scientifiques
sur la qualité de l'eau (à
toutes les frontières) et de donner
leur avis sur l'éventuelle construction
d'un nouvel ouvrage hydraulique sur le Nil,
comme c'est le cas actuellement avec la
construction du barrage Marawi/Hamadab en
aval de Khartoum.
"Partager les richesses
des eaux du Nil et pas seulement partager
les eaux du Nil
"
Hydrotour : Et avec le
reste du bassin versant ?
Abdalla Seifeldin : Depuis 1998/99,
un projet intitulé "Initiative
du Bassin du Nil" est mis en place
afin que l'ensemble des pays membres du
bassin réfléchissent conjointement
sur des questions telles que : le partages
des eaux, la construction de nouveaux ouvrages
hydrauliques etc.
L'idée sous-jacente de ce projet,
initié par la FAO (Food and Agricultural
Organisation), est de partager les richesses
des eaux du Nil et pas seulement partager
les eaux du Nil
.
La quantité
d'eau disponible au Soudan
Hydrotour : Pour information,
le bassin du Nil compte combien de pays
?
Abdalla Seifeldin : Les eaux du Nil
concernent 10 pays : le Rwanda, Le Burundi,
l'Ouganda, l'Erythrée, l'Ethiopie,
le Congo, le Kenya, la Tanzanie, le Soudan,
l'Egypte.
Hydrotour : Quelles sont
les quantités d'eau disponible au
Soudan ?
Abdalla Seifeldin : La quantité
d'eau dans les sous-sols est de 40 milliards
de m³ dont 5 milliards sont renouvelés
annuellement. Les oasis et rivières
représentent 4 milliards de m³
supplémentaires. A cela s'ajoute
les 18,5 milliards de m³ que nous sommes
en droit de pomper dans le Nil. Nous utilisons
dans la réalité que 15,5 milliards
de m³ du Nil et 1 milliards du reste
(Oasis et Sous-sols). Cependant nous prévoyons
de consommer dans les 10 à 15 ans
32 milliards de m³ et 48 milliards
dans 25 ans
Nos richesses en eau disponibles
ne seront plus suffisantes pour subvenir
à ces nouveaux besoins.
Les grands projets
du gouvernement
Hydrotour : Vous avez
parlé tout à l'heure du barrage
de Marawi/Hamadab en aval de Khartoum. Pour
quelles raisons construisez vous ce nouveau
barrage ?
Abdalla Seifeldin : Principalement
pour deux raisons.
1. Répondre à l'augmentation
des besoins en eau des 15 prochaines années
2. Produire de l'électricité
propre dont nous manquons. La retenue d'eau
sera de 9 milliards de M³ et la production
hydroélectrique de 1350 Mégawatts.
Pour le moment le Soudan ne produit que
500 Mégawatts d'électricité.
NDLR : Le plus gros barrage en France sur
la Durance produit 1600 Mégawatts
et le Barrage d'Assouan 21 000 Mégawatt
(12 turbines).
"Sans la retenue
d'eau du barrage la sécheresse aurait
engendré des pertes humaines considérables"
Hydrotour : Le Soudan
tire-t-il un avantage de la construction
du barrage d'Assouan ?
Abdalla Seifeldin : On a souvent
décrié le barrage d'Assouan
en disant qu'il n'était bénéfique
que pour l'Egypte, mais c'est faux. Il permet
de retenir 22 milliards de m³ d'eau
par an qui se jetterait autrement dans la
mer. Cette eau serait en quelque sorte perdue
pour la consommation agricole, industrielle
et domestique. En cas de fortes sècheresses
il permet aux deux pays de ponctionner la
quantité d'eau nécessaire
à leurs besoins. En 1984 par exemple,
le débit du Nil était seulement
42 milliards de m³, sans la retenue
d'eau du barrage la sécheresse aurait
engendré des pertes humaines encore
plus considérables. Nous n'aurions
pas été en mesure pas plus
que l'Egypte de pomper la quantité
d'eau annuelle nécessaire pour les
besoins en eau de nos deux pays.
Hydrotour : Le Soudan
a-t-il entreprit de grands travaux comme
le projet "Toshka valley" (nouvelle
vallée) en Egypte ?
Abdalla Seifeldin : Oui, le canal
de Jonglei pris en charge par l'Egypte et
le Soudan. Objectif de ce canal : utiliser
les quantités d'eau considérables
prisonnières des marécages
(2 milliards de m³) en amont de Khartoum
par la construction d'un canal entre Bor
et Malakal (360 Km).
Les travaux commencés en 1979 furent
interrompus par le début de la guerre
civile en 1983 et jamais finis. Aujourd'hui
avec le retour de la paix entre le Nord
et le Sud du Soudan, des études sont
en court pour savoir si sur le plan environnemental
les travaux peuvent être repris. Cette
gigantesque zone humide a peut être
un rôle sur le climat au Soudan. L'assécher
partiellement pourrait détruire irréversiblement
un équilibre environnemental. D'où
l'hésitation du gouvernement à
relancer les travaux. De plus, certains
paysans nomades ne veulent pas se voir sédentarisés
dans la région, de violents heurts
avaient déjà été
enregistrés au début de la
construction du canal.
L'eau
à Khartoum
Hydrotour : Maintenant
que nous avons fait un tour d'horizon de
l'eau au Soudan, pouvez nous parler plus
particulièrement de l'eau à
Khartoum ?
Abdalla Seifeldin : Les besoins en
eau potable de la ville de Khartoum sont
de 1 million de m³ par jour, mais seulement
650 000 m³ sont produits par l'état
de Khartoum (gestionnaire des eaux de la
ville). Nous comptons d'ici à 5 ans
combler ce déficit en eau potable
"La tarification
dépend de la taille de la maison"
Hydrotour : Quel procédé
de tarification de l'eau appliquez-vous
aux foyers ?
Abdalla Seifeldin : La tarification
dépend de la taille de la maison
et varie sur des critères tels que
: le nombre de salles de bains, nombre d'habitants,
l'emplacement de la maison, etc. Pour vous
donnez un exemple, ma maison abrite 7 personnes
et je paye approximativement 8 dollars/mois
sans limitation en eau consommée.
Hydrotour : La ville de
Khartoum dispose-t-elle d'un réseau
de tout-à-l'égout?
Abdalla Seifeldin : Oui bien sur,
mais pas dans toute la ville, autrement
ce sont beaucoup de fosses sceptiques individuelles
ou collectives. La gestion du réseau
d'égouts de la ville de Khartoum
est rendue difficile en raison des fortes
précipitations enregistrées
pendant les mois d'été. C'est
pourquoi vous pouvez voir dans les rues
à beaucoup d'endroit des canalisations
d'égouts à ciel ouvert
afin
de permettre à l'eau de ruisseler
plus rapidement. Nous traitons pour partie
les eaux d'égout de Khartoum dans
la seule et unique station de traitement
des eaux du Soudan.
Sa vision de l'eau
et du développement durable et son
mot d'encouragement pour les enfants qui
nous suivent.
Hydrotour : Avez-vous
entendu parler de l'année internationale
de l'eau douce ?
Abdalla Seifeldin : Oui ! Le Soudan
a d'ailleurs accentué sa politique
d'aide au projet ayant un lien avec l'eau
en 2003. Par exemple à l'Est et à
l'Ouest, qui sont des régions semi-arides
en raison de leur éloignement du
Nil, nous soutenons financièrement
la construction de retenues d'eau pour les
besoins agricoles et la consommation.
Hydrotour : Quel lien
faites-vous entre l'eau et le développement
durable ?
Abdalla Seifeldin : Je pense que
la sécurité et la croissance
sociale et économique dépendent
essentiellement de l'eau. L'eau et l'accès
à l'eau est au Soudan la priorité
de tout développement durable quel
qu'il soit. Améliorer l'accès
à l'eau en Afrique et plus particulièrement
au Soudan c'est améliorer de facto
la condition de la femme !
"L'eau que vous
buvez en Europe est la même eau qui
est bue ici chez nous en Afrique
"
Hydrotour : Avez-vous
un message à transmettre aux enfants
qui nous suivent ?
Abdalla Seifeldin : Bonjour les enfants
! Je voudrais vous faire prendre conscience
que l'eau que vous buvez en Europe est la
même eau qui est bue ici chez nous
en Afrique, mais également en Amérique
et en Asie. Je vous invite à donc
à l'utiliser à bon escient
de cette manière vous aiderez l'eau
elle-même et la Vie.
Hydrotour : Merci monsieur Seifeldin
pour votre mot aux enfants et merci d'avoir
bien voulu répondre à nos
questions.
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