L'exemple de ACF
Nous avons rencontré
à Khartoum, Monsieur Patrick David,
responsable de ACF Soudan.
Introduction :
Action Contre la Faim
est une ONG d'origine française travaillant,
en général, dans l'urgence,
pour subvenir aux besoins des populations
souffrant de malnutrition.
Le manque d'eau est une cause directe de
malnutrition. La mauvaise qualité
de l'eau, elle, en est une cause indirecte
car elle provoque des diarrhées qui
provoquent elles mêmes une déshydratation
et une déficience alimentaire.
Le Soudan est un pays qui connaît
une guerre civile depuis 1983, les conflits
sont localisés dans la partie Sud
du pays. Suites aux massacres perpétrés
dans la région, les populations du
Sud ont massivement migré vers Khartoum
où elles sont venues squatter dans
de nombreux quartiers dans des conditions
souvent très précaires.
Dés 1990, devant la menace de 2 millions
de sudistes dans la capitale nordiste (les
sudistes sont africains, majoritairement
chrétiens, et les nordistes sont
arabes, majoritairement musulmans), le régime
totalitaire en place a décidé
de déplacer ces populations beaucoup
plus loin de la ville avec des plans d'urbanisme
stricts.
Mais cela représentait (et représente
toujours aujourd'hui) des gros problèmes
d'infrastructures et parmi ceux-ci, l'eau
car il n'y avait aucun système d'adduction
d'eau.
Hydrotour : Bonjour Patrick
David, merci de nous donner de votre temps
et de nous présenter les projets
que vous avez pour l'eau. A quel moment
l'ONG ACF a-t-elle commencé à
s'intéresser aux problèmes
de l'eau à Khartoum ? Dès
le début de la guerre ?
Patrick David : La guerre a commencé
au Soudan en 1983, il me semble important
de préciser que cette guerre n'est
pas qu'une guerre de religion, elle est
la résultante de plusieurs problèmes
:
- Ethniques,
- Economiques (le sud à du pétrole
et de l'eau)
- La gestion du Nil (Les tribus nomades
du Sud refusaient la construction du canal
de Jongleï car cela les auraient obligé
à se sédentariser une fois
les marais asséchés)
- et enfin la religion
A cette situation s'est ajouté 7
années de sècheresse que le
Soudan a subi entre 1981 à 1987,
dont la plus dramatique est celle de 1984.
Nous sommes intervenus pour la première
fois au Soudan en 1985 dans la région
de Nuba où les conditions étaient
dramatiques. Puis à partir de 1988
ACF est intervenu à Khartoum pour
lutter contre le Choléra.
Hydrotour : Vous avez
initié un projet d'eau il y a 5 ans
à la périphérie de
Khartoum dans les quartiers des déplacés.
Pouvez vous nous en parler un peu ?
Patrick David : Le projet a été
initié en 1998 dans un quartier de
1000 foyers (6000 personnes) où l'eau
arrivait dans des barils tirés par
des ânes à des prix élevés
et dans des conditions d'hygiènes
médiocres.
Trois priorités s'imposaient alors
:
- Forage d'un puits
- Installations de latrines
- Formation de la population aux règles
d'hygiènes.
Hydrotour : ACF travaille
dans l'urgence, que se passe-t-il une fois
que la réalisation technique est
finie et que les gens ont de l'eau à
leur disposition ?
Patrick David : Une fois la
situation d'urgence passée, le problème
d'ACF est de pouvoir laisser aux populations
locales la gestion du projet et des installations.
Et ce n'est pas chose aisée ! Un
puits construit trop vite sans la participation
de la population devient le puits d'ACF
et sa gestion et maintenance est et doit
rester (selon les locaux) du ressort d'ACF.
C'est le syndrome de dépendance,
personne ne veut s'en occuper. De nombreux
puits sont hors service après 6 mois
et ces expériences sont à
éviter.
Il faut donc développer une approche
culturelle (un pompe à main par exemple
n'est parfois pas adaptée car les
gens ne voient pas d'où sort l'eau)
et participative et tout ça dans
l'urgence, car si nous intervenons c'est
que la situation est catastrophique. Nous
travaillons aussi beaucoup la politique
communautaire et nous cherchons toujours
à savoir ce que veulent réellement
les habitants et les femmes.
Après, il faut prendre du temps pour
se retirer d'un projet, la politique communautaire
peut s'avérer dangereuse, car une
personne mal intentionnée peut tout
faire capoter.
Dans ce sens le projet que nous allons visiter
est une réussite, 3 ans après
le retrait d'ACF, il continue à tourner
et se développe sur le mode coopératif.
Hydrotour : Quel est le
secret de leur réussite ?
Patrick David : La réussite
de ce projet et de nombreux autres repose
sur la viabilité économique
du projet une fois qu'il est autonome, sans
ONG. Ici, tout le monde peut se faire de
l'argent en commençant par le puits,
qui dégage un bénéfice
directement réinvesti pour la communauté,
jusqu'au revendeur d'eau et même au
consommateur qui paye son eau moins cher.
Hydrotour : Avant de passer
au projet en lui-même, pouvez-vous
nous dire, selon vous, quelle est la place
de l'eau dans le développement durable
?
Patrick David : Elle a une place
fondamentale. L'eau est un besoin de base
et un facteur de liens sociaux. Il va falloir
trouver des solutions nouvelles et innovantes
car il faut se battre pour l'eau et ce sur
trois axes :
1. Au niveau technique (recherche de nouvelles
techniques
) ;
2. Au niveau communautaire et sociale (les
populations doivent être parties prenantes)
;
3. Et enfin au niveau de la gestion des
conflits qui peuvent surgir dans la compétition
pour l'eau (aussi bien au niveu des pays
que des individus).
Hydrotour : En tant que
Français, ancien de la coopération
internationale, ayant côtoyé
des situations terribles de famine et d'épidémie,
avez-vous un mot à dire aux enfants
qui nous suivent ?
Patrick David : Je les félicite
de suivre votre projet. Il est particulièrement
important qu'ils prennent par eux-mêmes
conscience du problème de l'eau qui
commence en France et en Belgique. L'eau
est un bien précieux, il faut la
protéger et la respecter. Ce n'est
pas parce que l'on a la chance d'avoir de
l'eau tous les jours qu'il ne faut pas se
battre pour que tous les enfants aient cette
même chance. Je les encourage donc
à se battre pour que toutes les familles
du monde aient de l'eau.
Présentation et visite de la station
de pompage avec le comité exécutif
de la coopérative :
ACF est arrivé en 1998 avec ce projet
de puits. Ils l'ont réalisé
et deux ans après, ils nous ont passé
les rennes.
Le quartier 27, où nous sommes, est
passé de 6000 à 21000 personnes
en 5 ans pour deux raisons
- l'eau près du puits est moins chère
et de meilleure qualité ;
- avec de l'eau on peut faire du torchis
et des briques et donc construire des maisons.
Dès le début, lors de la construction
du puits, un comité local a été
élu par la communauté. Il
s'agissait de trouver 6 personnes volontaires
non rémunérées (ils
perçoivent juste un petit montant
lors de chaque assemblée), prêtes
à recevoir une formation et à
s'investir dans la gestion du puits. En
plus de ce comité il fallait trouver
des membres prêts à s'investir
dans d'autres parties du projet.
Différents types de formations ont
donc été dispensées
:
- Administration d'association et de coopérative
(puisque c'est en coopérative que
le puits a évolué).
- Management du puits
- Informatique
- Analyse de l'eau
- Promotion sanitaire (utilisation de l'eau,
règles d'hygiènes, analyse
des situations sanitaires,
)
Aujourd'hui, le projet tourne avec 5 employés
:
- le caissier qui perçoit l'argent
payé par ceux qui prennent de l'eau
- le mécanicien
- l'assistant mécanicien
- un garde de jour (qui est aussi le dispacheur)
et un garde de nuit.
Normalement lorsqu'il y a un problème
technique la réaction de la coopérative
est assez rapide grâce à la
présence sur place de deux mécaniciens.
S'il s'agit d'un problème plus grave
nécessitant l'achat de matériel,
le mécanicien doit en référer
au comité qui prend la décision
finale. Ceci peut parfois occasionner la
fermeture du puits pendant un ou deux jours.
Dans ce cas les donkey-cans doivent aller
à un autre puits pour trouver de
l'eau.
Les donkey-cans : Constitués
de deux barils soudés l'un à
l'autre, ils ont une contenance de 200L
et sont le plus souvent menés par
des enfants ou des adolescents et tirés
généralement par un âne
et parfois par un cheval.
Afin de conserver une bonne qualité
de l'eau, la coopérative a développé
un système de certification de la
propreté des barils. Une fois par
mois, les donkey-cans doivent venir faire
laver l'intérieur de leur baril et
un marquage du baril permet au garde de
rejeter tout donkey-can qui n'a pas été
lavé dans le mois.
Le prix d'un baril au puits est fixé
par le gouvernement à 50 Dinars soudanais
(soit 0,15€) et il est revendu entre
300 et 600 dinars (1 à 2€) selon
l'éloignement.
La station : Tous les jours une
pompe extrait plus de 210 m³ du sol.
L'eau est envoyée dans un château
d'eau pouvant contenir 32m³. Elle est
analysée mensuellement et une adduction
de chlore est faite en fonction de sa qualité.
Les projets :
Au-delà de la construction et de
l'entretien de cette station de pompage,
nous avons crée une pépinière
que nous irriguons avec l'eau qui est perdue
lors du remplissage de tous les récipients.
Les plantes qui y poussent sont revendues
dans le village.
Le projet de latrines est terminé
et ne concerne plus que les nouveaux arrivants.
Avec l'argent des bénéfices
du puits nous avons pu restaurer et agrandir
l'école du village.
Nous comptons maintenant acheter un générateur
électrique pour permettre la distribution
de l'électricité.
Notre dernier projet est la construction
d'une autre station de pompage. Nous venons
d'ailleurs de recevoir une bourse de l'Ambassade
de France de 60000€ (NDLR : cet argent
provient du Fonds Social de Développement
mis à la disposition des ambassades
des pays de la zone de solidarité
prioritaire).
Malgré notre autonomie financière
nous n'avons hélas pas encore les
reins assez solides pour pouvoir financer
nos gros projets seuls et nous sommes toujours
à la recherche de fonds. Avis aux
donateurs
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