Lors de notre passage à
Cordoba nous avons rencontré le Docteur
Daniel Lerda professeur en toxicologie environnementale
à l'Université Catholique
de Cordoba. Il nous a présenté
le grave problème de l'arsenic dans
l'eau qui concerne certaines parties de
la province de Cordoba.
Hydrotour : Bonjour professeur,
on parle beaucoup de l'arsenic ces derniers
temps, qu'est-ce que ce terme scientifique
recouvre exactement ?
Dr Lerda : Bonjour les Hydrotrotters
! J'ai cru comprendre en surfant sur votre
site web qu'on vous appelait ainsi
L'arsenic est un élément qui
fait partie des métaux lourds, même
s'il n'est pas métallique. On entend
par métaux lourds, les substances
hautement toxiques présentes dans
l'eau en quantité très limitées.
Hydrotour : Mais que veut
dire "hautement toxique" ?
Dr Lerda : Il devient un danger pour
l'homme à partir du moment où
il rentre dans la chaîne alimentaire
par le biais de l'eau par exemple. Or il
n'est pas décelable facilement comme
l'est l'essence. L'arsenic est en effet
insipide, inodore et incolore. Des études
ont montré qu'une consommation régulière
d'arsenic à une concentration de
0,01 g/1000L d'eau (sachant que la dose
mortelle est de 5g/1000L) est responsable
de problèmes de peau et affecte le
système respiratoire et sanguin.
A des doses plus élevées allant
jusqu'à plus de 2g par 1000L on observe
une augmentation des cancers des poumons,
du foie, de la vessie, de la prostate, de
la peau et des reins. Il faut noter que
chaque personne réagira différemment
à cet empoisonnement lent et progressif
(selon les concentrations cela va de quelques
années à plusieurs dizaines
d'années).
Hydrotour : Où
le trouve-t-on ?
Dr Lerda : Parlons d'abord du cas
de l'Argentine qui nous concerne.
On a des concentrations dans l'eau de l'ordre
de 1,6 à 4,5g/1000L dans la province
de Cordoba. Dans les provinces du Chaco,
de Buenos Aires, de Salta, de Formosa, de
La Pampa, de San Luis, de Santa Cruz, de
Santiago del Estero et de Tucuman on retrouve
des concentrations allant de 0,5 à
1 g/1000L.
Dans les années 1970 à 1980
on a installé des systèmes
d'aqueducs et de pipelines qui apportent
l'eau de rivières non contaminées.
Cependant certaines zones sont encore exposées
aux problèmes de l'arsenic. Il s'agit
principalement de zones rurales où
l'eau est délivrée par un
puits. Dans ces zones l'arsenic peut être
stabilisé dans le sol mais libéré
par une mauvaise gestion du puits (surpompage
de la nappe phréatique par exemple).
En effet, lorsque le niveau de la nappe
baisse l'oxygène peut oxyder l'arsenic
présent sous une forme non toxique,
et le transformer en arséniate (toxique).
Dans le Monde :
Taiwan (sud-ouest), Thaïlande (sud),
Mongolie (centre), Chine, Inde (Bengale
de l'Est et de l'Ouest, Delta du Gange)
Bengladesh (cela concerne 59 districts sur
64), Mexique (nord), Vietnam (Hanoi), Chili
(nord), USA (Oregon, Alaska), Allemagne
(Bavière)
Hydrotour : D'où
provient l'arsenic ? Est-ce encore une pollution
de l'Homme ?
Dr Lerda : Non pas uniquement ! L'homme
peut être responsable du rejet d'arsenic
dans le sol via les effluents industriels
provenant des manufactures utilisant de
l'arsenic ou encore des fonderies de métaux
non ferreux. Dans ce cas la pollution reste
"assez" locale.
Lorsque c'est à plus grande échelle,
il s'agit en général d'arsenic
naturellement présent dans le sol.
En effet, l'arsenic est le composant principal
d'au moins 245 minéraux, il rentre
donc dans la composition de nombreuses roches
(souvent volcaniques). Lors de différents
processus géologiques ou géomorphiques,
l'arsenic peut subir des réactions
chimiques qui vont le libérer sous
sa forme toxique*. Par la suite on le retrouve
dilué dans l'eau avec lequel il se
déplace.
Hydrotour : C'est donc
un problème naturel répandu,
que peut-on mettre en place pour pallier
à ce problème ?
Dr Lerda : Plusieurs traitements
existent pour retirer l'arsenic de l'eau
de manière efficace.
On peut citer :
1. La séparation sur des résines
d'échange d'ions
2. L'adsorption sur de l'alumine activée
3. L'osmose inversée
4. La coagulation/filtration
5. L'électrodialyse inversée
6. L'adoucissement à la chaux
Ces six premières sont aujourd'hui
considérées comme les meilleures
technologies disponibles. On peut y ajouter
:
7. L'adsorption sur des oxydes ferriques
hydriques (hydrous ferric oxides)
8. L'adsorption sur divers oxydes de fer
9. L'adsorption/filtration par du sable
vert de manganèse
Quatre technologies sont à l'essai
sur des sites pilotes ou au stade de développement
et sont considérées comme
viables pour retirer l'arsenic de l'eau
- Iron-oxide coated sand IOCS (sable enrobé
d'oxyde de fer)
- Iron filling and sulfur modified iron
- Granular ferric hydroxide GFH (hydroxyde
de fer granuleux)
Toutes ces technologies doivent être
étudiées en fonction de différents
facteurs tels que le coût, la quantité
et le pH de l'eau à traiter, l'entretien,
la teneur en arsenic organique ou inorganique,
la teneur en arsénite ou arséniate,
la teneur en matière solide dissoute,
la teneur en oxygène, la teneur en
différents ions ou en autres polluants.
Parfois une méthode peut être
plus coûteuse, mais du fait de sa
multifonctionnalité elle est plus
adaptée. Il faut aussi prendre en
compte la destruction ou le stockage des
sous-produits de ces méthodes qui
contiennent de l'arsenic plus ou moins stabilisé.
Le plus difficile restant sans aucun doute
l'usage de technologie pour des petites
communautés rurales. En effet, dans
ces zones, l'eau du sol est la source d'eau
potable privilégiée, car éloignées
des grandes stations de traitement des villes,
et ce particulièrement dans les pays
en voie de développement. Le traitement
et la désinfection de l'eau du sol
étant souvent inutiles, les systèmes
d'extraction peuvent être placés
à proximité des consommateurs
et ils sont alors nombreux et de petite
taille.
Dans ce cas, les plus avantageuses sont
la filtration par du sable vert de manganèse
ou la filtration par de l'oxyde de fer enrobé.
Dans le cas du traitement de sous-sols
contaminés par une industrie, plusieurs
méthodes existent. Elles sont coûteuses
mais souvent imposées par le législateur
à l'industrie polluante :
- extraction de l'eau du sous-sol et traitement
à la surface. Ensuite on peut la
réinjecter dans la nappe ou la réutiliser
tout de suite. Avantage : l'arsenic est
définitivement retiré de la
nappe (mais après il faut savoir
où le stocker).
- traitement in situ en agissant directement
dans la nappe. L'arsenic peut alors être
stabilisé par l'injection de réactif
stabilisant dans le sol. On peut aussi creuser
et mettre une barrière de réactifs
à travers laquelle le flux de la
nappe phréatique doit passer. L'eau
qui ressort de la barrière est ainsi
déchargée de son polluant
qui reste "coincé" dans
la barrière. Outre le coût
élevé, ces méthodes
présentent le désavantage
de laisser l'arsenic dans le sol (mais sous
forme "temporairement" stabilisée).
* Techniquement :
L'arsenic inorganique s'avère plus
toxique que l'arsenic organique et il se
retrouve dans l'eau sous la forme d'arsénite
(AS(III)) si l'eau est modérément
réductrice ou arséniate (AS(V))
si l'eau est oxygénée. La
mauvaise gestion d'un puits peut donc être
responsable de la libération d'arsenic.
En effet lorsque le niveau de la nappe baisse
l'oxygène peut oxyder l'arsenic présent
sous une forme non toxique dans certains
sols et le transformer en arséniate
(toxique).
Il provient de différents processus
géochimiques dont une dissolution
réductive d'oxy-hydroxyde de fer
et de manganèse et d'une oxydation
microbienne de la matière organique.
Au Nord des USA il vient d'une oxydation
de l'arsenopyrite.
Au Vietnam à Hanoi, c'est un processus
d'oxydation ou d'une réduction de
sédiments qui est responsable de
sa présence dans l'eau.
Au Mexique, l'arsenic présent dans
l'eau provient d'une dissolution et d'une
réaction de désorption de
la scodorite et d'une oxydation de l'arsenopyrite.
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