Entretien avec Mohanan directeur du département
de l'eau du sol de l'Etat du Kerala pour
le district de Calicut (sud ouest de l'Inde).
Vous trouverez en dessous de cet entretien,
la rencontre avec Krishnan et son fils Rohit,
sourciers traditionnels.
Le sourcier électronique
Hydrotour : Bonjour Mohanan,
c'est tout à fait fortuitement que
nous vous rencontrons sachant que c'est
le directeur de l'agence de voyage qui nous
a vendu nos billets pour l'Ile de La Réunion
qui nous a parlé de vous. En fait,
nous ne savons pas qu'elle est votre rôle
au sein de l'institution que vous dirigez.
Mohanan : Je vais donc me présenter
et vous expliquer en quoi consiste mon travail.
De formation, je suis docteur en géologie,
et je travaille pour le département
de l'eau du sol du ministère de l'irrigation.
Lorsqu'un village manque d'eau potable,
l'information remonte jusqu'au ministère
et nous sommes envoyés sur le terrain
pour chercher de l'eau.
H : Vous êtes en quelque
sorte des sourciers ?
M : Oui mais nous utilisons pour
cela des méthodes modernes.
H : Alors comment vous arrive
une demande d'eau potable ?
M : C'est un cheminement très
classique. Lorsque les villages ont des
puits qui sont à secs ou manquent
d'eau du fait de la croissance démographique,
ils en réfèrent au Panjayat
qui est l'équivalent du maire pour
vous. Je ne vais pas vous décrire
toutes les étapes, mais en fin de
chaîne, l'information arrive au ministère
de l'irrigation. Parmi tous les départements
du ministère, deux sont en charge
de ces demandes, nous, qui cherchons l'eau,
et le département des travaux publics,
qui va creuser le puits.
"L'eau du sol n'est
pas disponible partout de la même
manière"
H : Parce que
vous ne creusez pas le puits ?
M : Non. Nous sommes juste chargés
de trouver de l'eau. Pour creuser un puits
il ne suffit pas de le faire n'importe où.
Même s'il y a beaucoup d'eau dans
le sol, elle n'est pas disponible partout
de la même manière. Nous sommes
chargés de voir où se trouve
l'eau et quel type de puits il faut creuser.
Il existe deux types d'aquifères,
les confinés et les non-confinés.
Les aquifères confinés sont
des sortes de réserves d'eau emprisonnées
dans un sol imperméable. L'eau y
pénètre par des fractures
et est stockée, soit dans une cavité,
soit dans une poche de roche perméable.
On peut représenter cela comme une
bouteille en plastique remplie d'eau et
de sable par exemple (ou seulement d'eau).
Les aquifères non-confinés
sont ouverts l'eau y circule librement car
elle n'est pas bloquée d'un côté
ou de l'autre. C'est comme à la mer,
lorsque vous creusez dans le sable. A quelques
centimètres de profondeur, de l'eau
arrive directement dans votre trou depuis
le sol environnant. Cela veut dire que vous
venez de toucher l'aquifère (marin
dans ce cas).
H : Alors comment trouvez-vous
de l'eau ?
M : Nous sommes équipés
pour cela de l'Aquamètre qui est
un simple appareil mesurant la résistivité
du sol en un point et une profondeur donnée.
Notre équipe, constituée d'un
géologue, d'un géophysicien
et de quatre assistants, part pour le village
demandeur d'eau. La première chose
que l'équipe fait, c'est de recueillir
les informations hydrogéologiques
du sol. Informations qui sont données
par les puits déjà présents
dans le village.
H : Mais il y toujours
des puits ?
M : Oui il est très rare qu'un
village ne soit pas équipé
de plusieurs puits (privés ou publics).
Certains sont d'ailleurs à secs.
Mais s'il y a une demande d'eau cela veut
dire que de toutes façons, ils ne
suffisent plus pour alimenter tout le village.
Une fois que nous avons relevé la
nature de toutes les couches qui constituent
le sol, la profondeur de la nappe, la topographie
du lieu. Alors nous pouvons entamer notre
travail avec l'Aquamètre.
C'est un appareil équipé de
quatre électrodes P1, P2, C1 et C2
que nous alignons autour d'un point donné
A, deux d'un côté deux de l'autre.
Pour avoir la résistivité
du sol à une profondeur Y, nous écartons
les électrodes du point A d'une distance
X. Sachant que nous pouvons mesurer la résistivité
jusqu'à 300 mètres de profondeur.
Nous répétons l'opération
sur beaucoup de points dans le village.
Une fois que nous avons fait toutes ces
mesures nous avons un graphique représentant
la résistivité du sol en fonction
de la profondeur (en fait plusieurs graphique,
car il y en a un par point).
Nous collons ce graphique sur le graphique
représentant la nature du sol en
fonction de la profondeur et nous commençons
l'analyse qui nous permettra de dire à
quelle profondeur se trouve l'eau partout
dans le village mais surtout quelle est
l'épaisseur de la nappe. Et s'il
s'agit d'un aquifère confiné
ou non confiné.
"Si nous nous trompons,
tout le monde perd beaucoup d'argent"
H : Cette méthode
est sans failles ?
M : Non bien sur. Nous devons prêter
attention à ne pas dire de bêtises
parce que l'équipe qui vient après
nous va se fier entièrement à
notre analyse et creuser directement où
nous le leur dirons. S'ils ne trouvent pas
d'eau, tout le monde perd beaucoup d'argent.
La résistivité d'un sol est
la résistance que va opposer ce sol
au passage du courant. L'eau est très
conductrice, lorsqu'il y a de l'eau nous
avons donc une résistivité
faible. Nous pouvons aussi dire si l'eau
est salée, car elle est plus conductrice
que l'eau douce. Mais le fer est aussi très
conducteur, ainsi que la magnétite.
Et ce sont deux minéraux que l'on
peut trouver en quantité plus ou
moins importante dans certains sols. Dans
ce cas l'Aquamètre réagira
comme s'il y avait de l'eau, alors qu'il
n'y en a pas une goutte.
H : Mais que faites-vous
alors ?
M : La science n'a pas dit son dernier
mot
Les informations hydrogéologiques
que nous récoltons avant les mesures
sont très importante car ce sont
elles qui nous permettent d'avoir des doutes.
Dans le cas ou les mesures de résistivité
nous semblent peu fiable, nous adaptons
alors une méthode géophysique
intégrée qui combine une méthode
d'analyse sismique et un appareil qui mesure
les fréquences magnétiques
très basses (donnant les anomalies
magnétiques).
"La population ne
se sent pas encore concernée par
le problème de la pollution"
H : Pendant la saison
des pluies, le sol est imbibé d'eau.
Comment faites-vous ?
M : Nous ne faisons pas de mesures
durant la saison des pluies (de juin à
octobre). Nous faisons donc de l'éducation
auprès des villages et des communautés
en leur distribuant des documents et en
dispensant des formations sur différents
thèmes comme :
- La valeur de l'eau
- L'utilisation de l'eau
- La protection de l'eau
- La protection et la maintenance des puits
- Mise en garde contre la pollution du sol
Et bien d'autres choses encore
Nous faisons aussi des évaluations
de l'impact de nos formations sur la population.
Et c'est généralement l'usage
de l'eau qui touche le plus les gens, pas
la pollution ni la maintenance des infrastructures.
H : Il n'y a pas de tank ici
?
M : Non, nous n'avons pas, ni le
besoin, ni la possibilité de mettre
des tanks. La problématique n'est
pas la même, nous avons des montagnes
et des rivières permanentes, mais
à part trois ou quatre, elles sont
toutes polluées. Nous devons donc
nous approvisionner avec l'eau du sol. Il
y a 600 puits au Km² ici et leur capacité
est en train de diminuer. En ville, chaque
maison veut son puits, car l'eau de la ville
n'arrive que quelques heures par jours et
pas en quantité suffisante. Nous
savons que le trop grand nombre de puits
et le pompage non contrôlé
est un problème, mais nous ne pouvons
pas priver les villages d'eau. La solution
doit être politique, il faut réhabiliter
les rivières et s'en servir pour
distribuer de l'eau à tout le monde.
H : Dernière question
qui n'a rien à voir avec le sujet
traité, nous avons remarqué
que dans les restaurants, on nous servait
une eau chaude et colorée en rose.
Qu'est-ce que c'est ?
M : Il s'agit de la boisson de table
au Kerala. C'est une infusion d'écorce
de Karimkaali qui est bonne pour la santé.
De plus le fait de faire bouillir l'eau
nous permet de la purifier.
Puisque vous avez parlez de sourciers tout
à l'heure, il me reste à vous
parler des anciens sourciers. J'ai une bonne
nouvelle pour vous, il se trouve que dans
mon service il y a un homme qui pourra vous
renseigner là-dessus, il s'appelle
Krishnan.
Sourciers de père
en fils
Interview de Krishnan et de
son fils qui ont tous les deux le don de
sourcier.
Hydrotour : Vous êtes
sourcier depuis toujours ?
Krishnan : Non, je ne savais pas
que j'avais ce don. Il y a cinq ans, un
ami m'a fait essayer deux baguettes en cuivre
courbées en forme de L (80cm pour
la partie qui sert de capteur et 20cm pour
la partie qui se tient dans les mains).
Mon fils, lui, l'a découvert un peu
plus tard et a un don beaucoup plus puissant
que le mien.
H : Alors comment faites-vous
?
K : Il suffit de prendre les deux
baguettes dans les mains et de les tenir
droites devant vous et parallèle.
Ensuite il faut parcourir le terrain que
vous voulez sonder de long en large et lorsque
les baguettes s'écartent l'une de
l'autre c'est que vous approchez d'un point
d'eau. Si vous vous en éloignez à
reculons, elles se referment.
Venez nous allons vous montrer.
A notre grande surprise lorsque Rohit,
le fils de 18 ans, marche dans le jardin
devant la maison familiale, les tiges s'écartent
et ils nous annoncent qu'il y a de l'eau
sous ses pieds. Geoffroy essaye à
son tour et le même effet se produit
au même endroit. Lorsque Loïc
prend les baguettes, des éclairs
se produisent dans le ciel et tout le monde
rigole en lisant ces bêtises
Non, sérieusement lorsque Loïc
prend les baguettes elles s'ouvrent trop
vite et au mauvais endroit. Il remet les
baguettes parallèles et essaye en
faisant du surplace (juste avec le mouvement
des jambes mais sans avancer) et petit à
petit les baguettes s'ouvrent !
Nous recommençons un petit peu plus
loin au-dessus d'un puits et les baguettes
s'ouvrent de nouveau pour Rohit et Geoffroy
juste au dessus du puits et toujours au
mauvais endroit pour Loïc.
H : Ce n'est donc pas si facile,
l'écartement peut juste être
causé par le mouvement lors du déplacement
! Comment pouvez-vous être sur qu'il
y a de l'eau ?
K : Non nous ne pouvons pas plaisanter
avec cela, car creuser un puits coûte
26 € par mètre excavé.
Il y a deux ans mon fils à trouvé
un point d'eau dans le jardin et nous avons
creusé un puits à 85 mètres
de profondeur ce qui représente tout
de même 2210 €
NDLR : Dans le jardin de Krishnan,
il y a un puits à 50 mètres
de là, à l'autre bout du jardin,
mais vu le coût d'un puits (le salaire
moyen en Inde est de moins de 90 Eur). Krishnan
est sur du don de son fils, car sans cela
il n'aurait pas creusé ce puits.
H : Et toi Rohit quelle est ton
expérience ?
Rohit : J'ai déjà fait
des recherches d'eau pour des amis et j'ai
trouvé 15 points d'eau qui ont été
creusés et ont donné des puits.
H : Tu te fais payer ?
R : Non cela ne m'intéresse
pas, je veux devenir ingénieur en
électronique et je considère
que ce que je fais avec ces baguettes est
un don. Je ne veux donc pas le vendre. D'ailleurs,
je ne fais ça que pour les amis de
la famille.
H : En quoi l'eau est-elle
importante pour toi ?
R : L'eau est importante car c'est
une clef de la vie, l'autre clef, c'est
la nourriture et d'ailleurs sans eau nous
ne pouvons pas cultiver cette nourriture.
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