"Les hommes s'affairent avec
un savon à la main"
Nous arrivons à
Calcutta par le train de 5h30. Il est très
tôt et pourtant la vie bouillonne
et s'organise déjà dans les
rues. Pour beaucoup c'est l'heure de faire
sa toilette sur le bas côté
du trottoir. Quand ils n'ont pas de pompe
à main, un trou dans une conduite
de la ville fait généralement
office de fontaine. Les hommes s'affairent
à leurs ablutions avec un savon à
la main. Les enfants sont là aussi,
qui pataugent et jouent dans l'eau. Quand
les adultes ont fini de se laver, c'est
au tour des plus jeunes de passer au bain.
Son père lui frotte alors énergiquement
la tête et le corps avec du savon.
L'enfant rit, sous les bulles de savon,
on ne parvient plus à distinguer
que ses grands yeux noirs. Les femmes, quant
à elles, font leur toilette dans
les maisons. Usuellement les maisons leurs
accordent un petit endroit où elles
peuvent se laver intimement. Le monde de
la rue est très dur, mais il y a
une certaine "entre-aide" entre
les femmes qui ont une maison et celles
qui n'en possèdent pas.
"L'hygiène
dans les rues est importante, autrement
c'est la mort"
Rencontre avec notre cousine,
Sœur Donatienne, qui est missionnaire
de la Charité (congrégation
de Mère Teresa)
Elle nous parle de ce que nous avons vu
le matin du jour où nous sommes arrivés.
Comment le réseau d'eau fonctionne
à Calcutta, quelles sont les difficultés
rencontrées par les pauvres lors
de la mousson, le vécu de l'eau des
sœurs...
"L'hygiène
dans les rues est importante, autrement
c'est la mort" nous dit-elle d'emblée.
C'est pour ça que tous les matins,
ils prennent soin de se laver le corps entièrement
avec du savon. Dans les rues de Calcutta
il y a deux réseaux d'eau : celui
de la Corporation (il fonctionne deux heures
par jour, l'horaire dépendant des
quartiers) qui est une eau plus ou moins
claire et a priori traitée, et celui
du Gange qui est une eau directement pompée
dans le fleuve afin de nettoyer les rues.
Tôt le matin, c'est souvent le réseau
du Gange qui fonctionne. Calcutta est à
l'embouchure du Gange, le fleuve passe donc
avant par beaucoup de grandes villes industrielles
comme Delhi, Allahabad et Bénarès.
La tradition de brûler les morts dans
les eaux sacrées du Gange est encore
très pratiquée, je vous laisse
donc imaginer la qualité de l'eau
qui peut circuler dans le réseau
du Gange… Ceux qui utilisent les pompes
à mains ne sont pas forcément
mieux lotis. L'eau de la nappe phréatique
contient de l'arsenic en quantité
toxique à long terme…Mais chacun
se bat pour survivre comme il peut !
A l'époque des Anglais, les rues
et les trottoirs étaient systématiquement
nettoyés en fin de journée
à grandes eaux (vers 16h00). Le tout
était ensuite évacué
par un système de drainage qui aujourd'hui
ne marche plus !
"La chaleur est souvent plus
supportable pour eux que la mousson."
Pendant la mousson, les eaux montent ici
très rapidement. Comme Calcutta est
une ville très plate, l'eau s'évacue
mal par les égouts bouchés
et mal entretenus, aussi, en une ou deux
heures vous avez de l'eau jusqu'aux chevilles.
Dans la partie basse de la cité,
certains quartiers sont mêmes en dessous
du niveau de la mer…
Il pleut généralement fort
le matin et en fin d'après-midi.
En cas de fortes pluies, les pauvres se
réfugient là où ils
le peuvent. Certains trouvent refuge dans
les arbres à l'abri d'une cabane.
Quand il y a des inondations prolongées
(à la fin de la mousson), nous distribuons
de la nourriture dans les rues (la fréquence
de ces distributions dépend des donations
que nous recevons). Les pauvres n'ont pas
les moyens de stocker ni la nourriture,
ni l'eau, si la pluie dure trop longtemps
ils manquent rapidement de tout. Autrement
nous passons dans les foyers avec un cyclo-rickshaw
sur lequel nous entreposons nos marmites.
Soit les familles nous accueillent perchées
sur leur lit (seul et unique) car surélevé
par rapport au niveau de l'eau, soit sur
le toit de leur maison ou encore sur les
rares terrasses. Dans ces conditions, les
plus pauvres, qui n'ont pas de chez eux,
ne peuvent pas s'allonger par terre pour
dormir car l'eau est partout. Les places
au sec sont rares et très disputées.
La chaleur est souvent plus supportable
pour eux que la mousson.
L'anecdote du métro.
D'une manière générale
le sous-sol de Calcutta est gorgé
d'eau. Partout où vous creusez, vous
trouvez de l'eau. A l'époque de la
construction du métro deux projets
avaient été proposés,
l'un souterrain et moins cher avait été
proposé par les Russes, l'autre aérien
mais plus cher avait été proposé
par les Japonais. Ce fut finalement la solution
russe qui fut retenue. Les autorités
et les experts n'avaient pas tenu compte
de la nature du sous-sol de Calcutta. Résultat
la construction qui dure maintenant depuis
20 ans a pris le double de temps et d'argent.
Les Japonais avait du faire des études
plus approfondies de la structure du sol…
"Si vous voulez aider les pauvres
sans condescendance, il vous faut vivre
pleinement leur pauvreté"
Quel est le vécu de l'eau de tous
les jours d'une sœur missionnaire de
la charité ?
Mère Térésa
était très concernée
par le problème de l'eau. Elle disait
souvent, "avoir de l'eau est un privilège,
mais ce n'est pas pour autant que nous ayons
le droit de la gaspiller. Ce qui est nécessaire,
il le faut, le reste, c'est du superflu".
Lorsque nous rentrons dans la communauté,
nous faisons toutes, vœux de chasteté,
d'obéissance et de pauvreté
(comme toutes les sœurs), mais nous
avons un quatrième vœu…"de
tout cœur et gratuit, au plus pauvre
d'entre les pauvres". Si vous voulez
aider les pauvres sans condescendance, il
vous faut vivre pleinement leur pauvreté.
"Une sœur
malade ne sert à rien aux pauvres.
C'est en plus, un poids pour la communauté"
Nous avons, par exemple, droit à
un seau de 20 litres d'eau par jour pour
faire notre toilette et à deux changes
de vêtement que nous lavons alternativement
tous les jours. Nous ne sommes en revanche,
pas limitées sur l'eau de boisson.
Ce qui nous permet d'éviter au maximum
les maladies du type infection urinaire.
"Une sœur malade ne sert à
rien aux pauvres. C'est en plus un poids
pour la communauté". Nous devons
donc faire extrêmement attention à
notre santé. Avant nous faisions
bouillir l'eau de la corporation, aujourd'hui
nous la traitons avec un filtre et la chlorons
à cause de plusieurs cas avérés
de typhoïde et de malaria. En été,
(à Delhi) quand la température
frôle les 5O C° certaines sœurs
sont obligées de jeter un seau d'eau
sur leur lit avant de dormir car nous n'avons
pas de ventilateur. Toujours dans cette
volonté de vivre la pauvreté
du plus pauvre, nous ne portons pas de chaussures.
Nous n'avons pas non plus de machine à
laver. Quand il y du monde dans l'hôpital
c'est astreignant, mais si vous acceptez
la machine à laver après ce
sera autre chose et… le confort n'a
pas de limite. Ce sont parfois les malades
qui nous aident dans les tâches ménagères
et cela s'avèrent être un très
bon curatif.
Il n'y pas l'eau courante dans les chambres.
Nous devons tous les jours faire la corvée
d'eau afin de monter l'eau aux étages
pour les toilettes. Lorsque nous étions
quarante dans la Maison, cela nous prenait
deux fois 30 min par jour, toutes ensembles
à la chaîne… c'est assez
comique et très amusant !
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