Aide
Médicale Internationale
En Birmanie, contre toute
attente, nous avons pu rencontrer une ONG
dans le secteur de Rangoon.
Nous avions, en effet, entendu toutes sortes
de bruits sur la Birmanie. Comme quoi c'était
une des dictatures les plus opaques du monde
et que la visite de projets réalisés
par des ONG était quasi impossible
pour le simple quidam !
Un coup de fil à l'ambassade de France
sur place, et nous voilà mis en contact
avec l'ONG française AMI, qui s'occupe
dans la banlieue de Rangoon, de l'autre
côté du fleuve du même
nom à Dalat, des villages de déplacés.
Attention nous ne contredisons pas le fait
que la Birmanie ne soit pas une dictature…
Au cours de notre séjour dans ce
pays mystérieux, nous rencontrerons
deux fois AMI, une première fois
dans leur bureau de Rangoon, une deuxième
fois pour faire une visite terrain de leur
projet et du dispensaire. L'interview présentée
ci-dessous est un mixe des deux.
Bruno Pascal coordinateur
eau et sanitaire nous accueille le soir
même dans les locaux de l'ONG. Dans
son bureau il y a plein de maquettes sur
les étagères : maisons bizarres
avec une pompe au milieu ou citernes à
étage couplé à une
pompe à main…
Nous lui laissons à peine le temps
de se présenter que la première
question fuse.
Hydrotour :
Pourquoi AMI s'est-elle impliquée
ici dans le domaine de l'eau et non dans
le médical comme le voudrait le but
de ton association ?
Bruno Pascal :
Lorsque AMI est venue en Birmanie pour la
première fois elle avait dans l'idée
de construire des dispensaires et des cliniques
de soins pour les maladies sexuellement
transmissibles. Nous avons effectué
un sondage auprès de la population
pour savoir qu'elles étaient réellement
leurs besoins, d'autant que les autorités
n'étaient pas forcément en
faveur d'une campagne massive de test HIV
par exemple. A notre grande surprise, les
habitants souhaitaient avant tout que nous
leur fournissions un accès à
l'eau potable. Nous avons donc réorganisé
notre savoir-faire de celui d'assurer des
soins à celui de fournir un accès
à l'eau potable. Après quelques
pourparlers avec les autorités nous
avons finalement pu ouvrir aussi un petit
dispensaire dans le secteur des déplacés.
"Ici la population
refuse de boire l'eau du sous-sol, c'est
culturel"
H :
Qu'est ce que c'est que ce secteur de déplacés
?
B.P. : C'est une
zone située de l'autre côté
du fleuve Rangoon par rapport à la
capitale. Il y a à Dalat 100 000
habitants et 30 écoles. Les autorités
ont parqué là les déplacés
de tout le pays soit en raison de combat
dans leur région d'origine soit en
raison d'une volonté discrétionnaire
de l'état…
Dalat est un ancien marécage, l'eau
ne devrait par conséquent pas manquer.
Mais ici la population ne boit pas l'eau
du sous-sol. Pour deux raisons, car elle
est extrêmement ferrugineuse et surtout,
ils ont peur de toucher à une eau
dont il ne voit pas sa provenance, c’est
un phénomène culturel !
Les maisons avant notre arrivée n'étaient
pas équipées de latrines.
Dans le meilleur des cas, ils creusaient
des trous, autrement, ils allaient n'importe
où autour des maisons. Idem dans
les écoles, il n'y avait aucune structure
sanitaire en place, les enfants allaient
se soulager dans la nature…
En saison sèche les problèmes
ne se font pas ressentir, mais c'est une
fois la saison des pluies arrivée
que les fosses débordent créant
de fait une situation sanitaire critique.
En ce qui concerne l'eau de boisson, ils
allaient s'alimenter directement dans le
fleuve Rangoon ou récoltaient l'eau
de pluie de leur toit dans de grandes jarres
pour les plus chanceux.
H :
Quand est-ce que votre programme Watsan
a-t-il débuté ?
B .P. : Nous avons
débuté notre programme en
août 2003 avec des objectifs bien
définis que nous estimions normalement
réalisables. Nous sommes financés
sur ce projet par le programme européen
ECHO.
Dans notre contrat avec ECHO, nous avions
prévu de construire 1200 latrines
et 3 bassins (étang de collecte d’eau
de pluie). Les latrines étant une
priorité sanitaire pour les raisons
expliquées dans la question précédente.
L'adhésion de la population au projet
et le travail de nos équipes ont
permis de faire mieux que nos objectifs
initiaux. Nous avons en effet construit
2400 latrines et creusé 12 ponds…
En plus de ce travail nous avons distribué
à la population 500 jarres en argile
d'une capacité de 200 litres afin
qu'ils stockent leur propre eau de pluie,
d'un coût unitaire de 9$. Le transport
des jarres était payé par
les familles bénéficiaires.
Notre budget n'a pas été augmenté
en conséquence, nous avons, nous,
de notre côté, réduit
nos coûts de structure et nos salaires
pour répondre le plus possible aux
nécessités de la population.
Le salaire moyen est de 700$ pour le staff
français et de 100$ pour le staff
des ingénieurs locaux. Pour creuser
les trous et faire les infrastructures nous
embauchons des saisonniers qui viennent
de la campagne pour se faire de l'argent
pendant la saison sèche. Nous les
payons entre 800 et 1200 khats par jour
(800 khat = 1 Dollar).
La saison des pluies vient de débuter.
Tous les travailleurs retourneront demain
dans leur campagne car la poursuite des
travaux devient impossible. Nous n'avons
jamais eu de surprise avec eux, sauf une
fois où un sac de ciment a disparu
sur un chantier. Nous avons du virer toute
l'équipe pour faire un exemple auprès
des autres travailleurs… C'est la
seule sanction que nous avons du prendre
vis à vis d'eux. Ce sont des sacrés
bosseurs.
"Toutes les
offres d'emplois des autres ONG sont affichées
dans la salle de réunion"
H :
Ces salaires bas posent-ils des problèmes
de concurrence par rapport aux autres ONG
?
B.P. : Si on se
compare à des ONG anglo-saxonnes,
c'est clair que nos salaires sont ridiculement
bas. Ils arrivent que certains de nos ingénieurs
quittent AMI pour aller chercher un meilleur
salaire dans ces ONG après avoir
reçu une formation chez nous.
J'ai décidé d'appliquer la
transparence au sein d'AMI. Toutes les offres
d'emploi des autres ONG, je les affiche
dans la salle de réunion. Elles sont
ainsi disponibles à tout le monde.
Si, en effet, nos salaires sont bas, nous
essayons en revanche de créer un
esprit d'équipe. Nous prenons les
repas ensemble et organisons régulièrement
des virées à la campagne entre
les ingénieurs. Pour les journaliers
nous ne sommes pas en dessous de la norme
des salaires il n'y a donc aucun problème
de main d'œuvre à ce niveau
là.
H :
Comment avez vous fait pour vous investir
sans compétence particulière
dans ce domaine ?
B.P. : Nous avons
fait du copier collé (rire). Nous
nous sommes inspirés de projets qui
avaient été mis en place dans
le Kerala et qui avaient bien marché.
Nous nous sommes contentés de les
retransposer ici. Nous avons aussi repris
des techniques d'ACF. Il ne faut pas oublier
que nous avions très peu de connaissances
dans ce domaine précis de l'accès
à l'eau.
Afin de faire en sorte que la population
s'approprie le projet, nous avons organisé
un concours du collecteur d'eau le mieux
décoré. Car chaque collecteur
d'eau appartient à 8 familles. Elles
ont la charge de la gestion et de l'entretien
de leur collecteur d'eau. Le collecteur
gagnant recevait pour chacun de ses foyers
membres un pack "hygiène"
comprenant : 1 brosse, deux seaux et du
savon. L'objectif du jeu étant bien
sur de les rendre responsable de ce nouveau
capital.
La matière première, béton,
bois, et tôle nous l'achetons à
Rangoon, c'est du matériel local.
Seul la pompe ne provient pas du Myanmar,
c'est une pompe UNICEF très bon marché
à 10$ l'unité (la pompe a
été améliorée
en local et toutes les pièces se
trouvent aisément sur le marché).
"Nous intéressons
les enfants en les faisant jouer à
des jeux comme celui de l'Oie! Tous les
moyens sont bons..."
H :
Comment faites-vous pour éduquer
la population à l'hygiène
de l'eau ?
B.P. : Auprès des
enfants nous essayons de faire passer le
message de manière ludique. Nous
les intéressons à l'hygiène
du corps en les faisant jouer à des
jeux comme celui de l'Oie ! Tous les moyens
sont bons pour les habituer à une
nouvelle hygiène de vie. Aujourd'hui
ils peuvent se laver les mains à
l'école et ont des toilettes à
leur disposition, pour eux c'est nouveau.
Il faut bien leur faire prendre conscience
de la nécessité d'abandonner
leurs anciennes pratiques. Le travail de
nos éducateurs est donc colossal.
Chaque semaine nous organisons un meeting
entre les ingénieurs et les éducateurs
afin de faire remonter l'information de
ce qui va et de ce qui ne va pas dans la
mise en place d'un projet. Cette manière
de fonctionner nous permet de rapidement
corriger nos erreurs. Par exemple, nous
avons creusé des bassins pour collecter
l'eau de pluie. Nous nous sommes rendu compte
après quelques semaines, grâces
aux éducateurs, que les locaux allaient
s'approvisionner en eau là où
les bassins avaient des nénuphars.
Après s'être renseigné
auprès des locaux par la voie des
éducateurs nous avons compris que
pour eux le nénuphar était
signe de la bonne qualité de l'eau.
Nous avons par conséquent introduit
des plants de nénuphars dans tous
nos bassins ! Par ailleurs, nos éducateurs
ont un rôle très important
car ils permettent de préparer le
terrain pour la mise en place de nouveaux
systèmes.
"Leur seul
lien est celui d'être dans la même
merde"
H :
Quels sont les problèmes auxquels
vous êtes confrontés à
Dalat et que faites-vous pour y remédier
?
B.P. : Il y a bien évidemment
un problème de communauté
et de sentiment d'appartenance. Ce sont
des gens qui viennent des quatre coins du
pays souvent dans une situation précaire.
Ils ne se reconnaissent pas comme faisant
partie d'une même communauté.
Leur seul lien est celui d'être dans
la même merde. Les collecteurs d'eau
qui rassemblent 8 familles sont autonomes
financièrement. Ils doivent donc
s'organiser entre-eux pour collecter l'argent.
Souvent se pose le problème de qui
va garder cet argent. Personne ne veut en
être responsable de peur d'être
accusé de vol en cas de manque d'argent
ou de vol par quelqu’un d’autre.
Le déposer à la banque ce
n'est pas possible, ils ne font plus confiance
aux institutions bancaires du pays.
Le concours que nous avons organisé
permet de créer une identité,
un bien commun au sein de cette communauté
éparse. Nous faisons des réunions
par collecteur pour leurs apprendre à
gérer l'argent et s'organiser en
cas de panne de la pompe par exemple.
"Pour vous
donner un exemple de prix un test HIV coûte
seulement 1,5$"
H : Quelle
est votre travail dans le dispensaire ?
Le docteur Simrin (indienne) responsable
du dispensaire : Le centre compte 4500 patients
et deux espaces de consultation l'un concernant
le check-up pré-natal, l'autre spécialisé
dans les cas des MST (maladies sexuellement
transmissibles). Avis aux amateurs nous
recherchons d'ailleurs de l'argent pour
faire des tests du HIV. La prévention
ne coûte pas cher. Pour vous donner
un exemple de prix un test HIV coûte
seulement 1,5$. L'espérance de vie
ici n'est que de 65 ans…
Nous administrons également les premiers
soins. Nous cherchons par ailleurs dans
notre centre à aider les femmes dans
leur relation maritale. Il y a beaucoup
de prostitués car quand les hommes
sont partis en mer pendant plusieurs semaines
les femmes font le trottoir pour avoir un
revenu. Nous leur préconisons de
mettre un préservatif même
avec leur mari. Le préservatif n'est
pas la solution, je préfère
leur dire qu'il faut faire confiance à
leur mari car c'est ce en quoi je crois.
Mais le problème du sida est complexe
car si la femme fait un test et découvre
qu'elle est positive elle se fera battre
par son mari et mettre en dehors de la maison.
Les femmes n'ont donc aucun intérêt
à faire de test, si ce n'est celui
d'être répudiée s’il
est positif… Elles ont donc peur de
venir faire des tests. Elles ne peuvent
pas demander à leur mari non plus
d'en faire autant car ce serait le considérer
comme volage et manquer de confiance envers
lui... Voilà pourquoi nous préconisons
le port du préservatif même
lors d'une relation entre mari et femme.
<
précédent suivant
> retour
<<
|